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LA GRÈCE

mais dans les vers marmoréens de sa Vénus de Milo, la vision qu’il se forme de la Beauté. Il ne la conçoit pas, cette fois, sous les traits d’Aphrodite, que les Rires et les Jeux environnent ; elle n’est point la Kythérée qui, pâmée aux bras d’Adonis, idéalise la volupté ; elle n’est même pas la Muse « aux lèvres éloquentes ». Celui qui parlait, tout à l’heure, avec une si profonde sincérité de sa fidèle admiration du globe où il est né, aperçoit la Vénus, comme la puissance de vie qui soutient les mondes ; son cortège est formé « d’étoiles cadencées » :


« Et les globes en chœur s’enchaînent sous ses pas.[1] »


Elle apparaît au poète comme l’image de la terre féconde et de la maternité universelle :


« Du bonheur impassible ô symbole adorable,
Calme comme la mer en sa sérénité,
il sanglot n’a brisé ton sein inaltérable,
Jamais les pleurs humains n’ont terni ta beauté.
Salut ! À ton aspect le cœur se précipite.
Un flot marmoréen inonde tes pieds blancs ;
Tu marches fière et nue, et le monde palpite,
Et le monde est à toi, Déesse aux larges flancs !…[2] »


Et c’est bien ici la Vénus Terrestre et Céleste que les philosophes antiques ont louée, celle que le vieux Lucrèce invoquait au seuil de son De Natura Rerum. À l’imitation du poète romain, Leconte de Lisle dresse, lui aussi, au début de sa galerie poétique, cette imposante image de la fécondité universelle et harmonieuse. Mais est-ce bien une « imitation ? » Le mot serait impropre. Ce qu’il faut dire, c’est que, par nature et par penchant philosophique, il existe, entre l’auteur de la Vénus de Milo et l’auteur du De Natura Rerum une parenté de goûts, d’inspiration et d’intentions

  1. « La Vénus de Milo ». Poèmes Antiques.
  2. Ibid.