Page:Dornis - Leconte de Lisle intime, 1895.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dirai pas les souriantes douceurs d’une familiarité dont nous étions si fiers, les cordialités de camarade qu’avait pour nous le grand poète, ni les bavardages au coin du feu, — car on était très sérieux, mais on était très gai, — ni toute la belle humeur presque enfantine de nos paisibles consciences d’artistes, dans le cher salon peu luxueux, mais si net, et toujours en ordre comme une strophe bien composée, pendant que la présence d’une jeune femme, au milieu de notre respect ami, ajoutait sa grâce à la poésie éparse. » Cette affection fidèle, indiquée d’une touche si discrète dans les lignes précédentes, serait effarouchée si nous insistions davantage, — et cependant ceux qui ont été admis dans l’intimité du maître savent qu’il trouvait en elle une admiration délicate, un conseil toujours écouté.

Plus tard, sous les ombrages du Luxembourg, au boulevard Saint-Michel, où Leconte de Lisle habitait en qualité de bibliothécaire du Sénat, une seconde génération de poètes entourait le maître. Le cercle s’était agrandi et renouvelé, sans que la piété filiale d’aucun eût été atteinte : le vicomte de Guerne, Paul Bourget, Pierre de Nolhac, Haraucourt, H. de Régnier, Robert de Montesquiou, Edmond Rostand, les derniers arrivés, ne lui étaient pas les moins chers ; ses conseils ne leur firent jamais défaut. Parce qu’il les aimait, parce qu’il était un esprit sincère, souvent il lui arrivait de blâmer leurs œuvres nouvelles. Tous les sujets, d’ailleurs, savaient lui plaire ; toutes les personnalités pouvaient rester indépen-