Page:Dornis - Leconte de Lisle intime, 1895.djvu/45

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De jouir amplement de la bêtise humaine,
De partager le monde après boire, octroyant.
Pour deux cents marcs d’or fin, l’Occident, l’Orient,
Îles et terre ferme, hommes, femmes, épices.
Aux rois, mes argentiers pillant sous mes auspices.
Et de voir, en goûtant le frais des chênes verts.
Haleter au soleil le stupide univers !
Quel rêve ! Ô merveilleux enchantement des choses
Qui, dans l’âcre parfum des femmes et des roses
Et du sang, sous l’éclat des torches allumant
Mes tentures de pourpre et d’or, au grondement
De la foudre impuissante, au chant des voix serviles,
Dans la prostration des multitudes viles.
Nuits et jours ramenant les grands songes anciens,
Me rendais la splendeur des temps césariens !
Et toi, vivante fleur de la chaude Italie,
Éclatante du sang qui nous brûle et nous lie,
En un moment d’ivresse éclose au clair matin
Pour parfumer ma couche et le beau ciel latin !
Ô toi qui me versais du regard et des lèvres
Le flot des voluptés et des divines fièvres.
Pour qui mon fils César, le pâle cardinal,
Occit son frère Jean la nuit du carnaval.
Afin que, consumé du désir qui l’enivre.
Il mourût des baisers dont il eût voulu vivre !
Ma fille, que mon sein plein de flamme couvait…

D’où vient donc que Leconte de Lisle ait reculé jusqu’aux derniers jours à écrire ce poème si souvent promis à ses admirateurs ? C’est que lui-même eut le sentiment qu’il ne correspondait plus aux préoccupations des contemporains. Sans en démêler exactement les causes, il comprit qu’il y avait dans ses imprécations trop de romantisme. Cela ressemblait à la Légende des Siècles. Il craignait peut-être de paraître, après Hugo, rechercher une