Page:Dornis - Leconte de Lisle intime, 1895.djvu/47

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Haletant et livide… Et tout son corps suait
D’angoisse et de dégoût devant cette géhenne
Effroyable, ces flots de sang et cette haine,
Ces siècles de douleurs, ces peuples abêtis,
Et ce monstre écarlate, et ces démons sortis
Des gueules, dont chacune en rugissant le nomme.
Et cette éternité de tortures ! Et l’Homme,
S’abattant contre terre avec un grand soupir,
Désespéra du monde et désira mourir[1] !
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Fondée ou non, point de doute que cette conviction de l’inanité du plus grand effort qui ait été fait, parmi les hommes, pour acclimater la paix, la justice et la pitié sur terre, n’eût fortifié en Leconte de Lisle ce culte du « Néant » qu’il finit par adorer comme son seul dieu. Il le préférait, avec sa figure de repos, aux vagues récompenses, aux exécrables supplices, par où l’on voulait prolonger dans l’au-delà les misères de cette vie. Mais dans le temps même où il s’élançait avec le plus d’ardeur vers cette idée pacifiante, il ne pouvait triompher des secrètes angoisses de la nature, qui criait en lui, comme dans tous les hommes, son désir de l’Éternelle Vie. De là vient la beauté tragique, presque surhumaine, de ses incantations au Non Être.

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Consolez-vous enfin des espérances vaines :
La route infructueuse a blessé nos pieds nus.
Du sommet des grands caps, loin des rumeurs humaines,
Ô vents ! emportez-nous vers les Dieux inconnus !

  1. La Bête Écarlate.