Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/100

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blait au point de lui ôter par instants la possession de ses facultés intellectuelles et physiques… Au bout d’un moment, il entendit qu’on tirait le verrou.

VII

Comme lors de sa précédente visite, Raskolnikoff vit la porte s’entre-bâiller tout doucement et, par l’étroite ouverture, deux yeux brillants se fixer sur lui avec une expression de défiance. Alors le sang-froid l’abandonna, et il commit une faute qui aurait pu tout gâter.

Craignant qu’Aléna Ivanovna n’eût peur de se trouver seule avec un visiteur dont l’aspect devait être peu rassurant, il saisit la porte et la tira à lui, pour que la vieille ne s’avisât point de la refermer. L’usurière ne l’essaya pas, mais elle ne lâcha pas non plus le bouton de la serrure, si bien qu’elle faillit être projetée de l’antichambre sur le carré, lorsque Raskolnikoff tira la porte à lui. Comme elle restait debout sur le seuil et s’obstinait à ne point lui livrer passage, il marcha droit sur elle. Effrayée, elle fit un saut en arrière, voulut parler, mais ne put prononcer un mot, et regarda le jeune homme en ouvrant ses yeux tout grands.

— Bonjour, Aléna Ivanovna, commença-t-il du ton le plus dégagé qu’il put prendre, mais vainement il affectait l’insouciance, sa voix était entrecoupée et tremblante ; — je vous apporte… un objet… mais entrons… pour en juger, il faut le voir à la lumière… Et, sans attendre qu’on l’invitât à entrer, il pénétra dans la chambre. La vieille le rejoignit vivement, sa langue s’était dénouée.

— Seigneur ! Mais que voulez-vous ?… Qui êtes-vous ? Qu’est-ce qu’il vous faut ?