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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

On ne se figure pas ce qu’est alors la correspondance, ce que devient le travail des postiers ! Ils ont deux heures dans la journée pour les repas, le reste du temps, ils sont toujours occupés. Des foules de gens ont une lettre à réclamer, un renseignement à demander. Pour chaque réclamateur, l’employé compulsera des piles énormes de lettres ; il écoutera tout le monde, fournira le renseignement voulu, expliquera, répétera son explication, tout cela patiemment, poliment, de la façon la plus aimable et la plus digne.

Pendant quelques jours après mon arrivée à Ems, je vins tous les jours demander à la poste une lettre que j’attendais impatiemment et qui n’arrivait pas. Or, un matin, je trouvai la bienheureuse lettre sur ma table, dans ma chambre d’hôtel. Elle venait d’arriver, et l’employé qui se rappelait mon nom sans savoir mon adresse s’était donné la peine de prendre des informations et me l’avait obligeamment fait porter à l’hôtel. Tout cela uniquement parce que, la veille, il avait remarqué mon extrême inquiétude.

Quel est le fonctionnaire russe qui agirait ainsi ?

Quant à l’esprit des Allemands, il faut bien dire qu’il est diversement apprécié. Les Français, qui ont quelques raisons pour ne pas aimer les Germains, ont toujours déclaré qu’ils étaient lourds, — sans vouloir insinuer qu’ils sont obtus, cela s’entend. Ils découvrent dans l’esprit allemand une tendance à toujours vagabonder hors du chemin direct, à compliquer les choses les plus simples. Les Russes, de leur côté, ne tarissent pas sur l’épaisseur et la gaucherie tudesques, quelle que soit, du reste, leur admiration pour les aptitudes scientifiques de leurs voisins. Pour mon compte, je trouve que les Allemands ont certains travers bizarres qui les exposent à se faire juger calomnieusement par des étrangers. Certes, j’ai bonne opinion d’eux, mais je comprends que les Allemands produisent quelquefois une impression désagréable sur ceux qui les connaissent mal.

Pendant le trajet de Berlin à Ems, notre train s’arrêta de nuit, à une station, pendant quatre minutes. J’étais fatigué du wagon, je voulus descendre pour me dégourdir

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