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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

— Ô le charmant, le délicieux jeune homme. Je l’aime déjà ! s’écria, enthousiasmée, Avdotia Ignatievna. Que ne peut-on le placer à côté de moi  ?

Je compris peu cet enthousiasme. Ce « nouveau » était un de ceux que l’on avait enterrés devant moi. Je l’avais vu dans sa bière découverte. Il avait bien la plus répugnante figure qu’on pût imaginer. Il ressemblait à un poussin crevé de peur.

Dégoûté, j’écoutai ce qui se disait d’un autre côté.

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Ce fut d’abord un tel tohu-bohu que je ne pus entendre tout ce qui se disait. Plusieurs morts venaient de s’éveiller d’un seul coup. Parmi eux un conseiller de cour qui entreprit bientôt le général pour lui communiquer ses impressions au sujet d’une nouvelle sous-commission nommée au ministère et d’un mouvement de fonctionnaires. Sa conversation parut intéresser énormément le général ; j’avoue que, moi-même, j’appris ainsi beaucoup de choses que j’ignorais, tout en m’étonnant de les apprendre par une semblable voie. Au même moment s’étaient éveillés un ingénieur qui, un bon moment, ne fit que bredouiller des sottises, et la grande dame qu’on avait inhumée le jour même.

Lebeziatnikov, — c’était le fonctionnaire voisin du général, — s’ébahissait de la promptitude avec laquelle ces morts retrouvaient la parole.

Peu de temps après, d’autres morts commencèrent à donner de la voix. Ceux-ci étaient des morts de l’avant-veille. Je remarquai une toute jeune fille qui ne cessait de ricaner stupidement…

— M. le Conseiller privé Tarassevitch daigne s’éveiller, annonça bientôt au général le fonctionnaire Lebeziatnikov.

— Quoi ? Qu’y a-t-il ? balbutia faiblement le conseiller privé.

— C’est moi, ce n’est que moi, Excellence, reprit Lebeziatnikov.

— Que voulez-vous ? Que demandez-vous ?