Page:Dostoïevski - L’Éternel Mari, trad. Nina Halpérine-Kaminsky, 1896.djvu/16

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s’en montraient froissés ; il lui arrivait d’oublier entièrement un livre qu’il avait lu six mois auparavant. Et voici que, malgré cette perte évidente de la mémoire, des faits d’une période très ancienne, des faits oubliés depuis dix ou quinze ans, se présentaient brusquement à son imagination, avec une aussi grande précision de chaque détail, avec une aussi grande vivacité d’impression que s’il les revivait. Quelques-unes de ces choses qui lui remontaient à la conscience avaient été jusque-là si implicitement abolies que le fait même de les voir reparaître lui semblait bizarre. Tout cela n’était encore rien : les résurrections de ce genre se produisent chez tout homme ayant beaucoup vécu. Mais l’important, c’est que ces événements lui revenaient à la mémoire sous un aspect modifié, entièrement nouveau, inattendu, et lui apparaissaient sous un angle auquel jamais il n’avait songé. Pourquoi tel ou tel acte de sa vie passée lui faisait-il aujourd’hui l’effet d’un crime ? Il n’en eût pas pris grand souci, à la vérité, si ç’avait été là simplement une sentence abstraite rendue par son esprit : car il connaissait trop bien la nature sombre, singulière et maladive de son esprit pour attacher à ses décisions quelque importance. Mais ses réprobations avaient un reten-