Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/225

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— Et pourquoi as-tu commencé si sottement ? demanda Alioscha en le regardant d’un air absorbé.

— D’abord, pour être Russe : les conversations russes sur ce thème doivent commencer bêtement. Et puis, plus c’est bête, plus nous sommes près de notre but, car plus c’est bête, plus c’est clair. La bêtise est concise et ne ruse pas ; l’esprit se tortille et se cache. L’esprit est un coquin : il y a de l’honnêteté dans la bêtise. Ma profession de foi t’explique le fond de désespoir que j’ai dans l’àme.

— Me diras-tu pourquoi tu n’admets pas l’univers ?

— Certes, ce n’est pas un secret. J’y venais, je n’ai même commencé que pour en venir là. Va, mon petit frère, ce n’est pas toi que je voudrais débaucher, ce ne sont pas tes croyances que je voudrais ébranler. Je voudrais, au contraire, me guérir à ton contact, dit Ivan avec le sourire d’un tout petit enfant.

IV

— Je te dois un aveu. Je n’ai jamais pu comprendre comment on peut aimer son prochain. C’est précisément, à mon avis, le prochain qu’on ne peut aimer ; les êtres éloignés, le lointain, soit ! Mais le prochain ! J’ai lu quelque part, à propos d’un saint, « Ioann le Miséricordieux » (un saint, te dis-je), qu’un jour vint chez lui un meurt-de-faim qui lui demanda de le laisser se réchauffer : le saint se coucha avec lui dans le lit, le prit dans ses