Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/26

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dans une atmosphère de rêves. Elle les dissipa, s’ins­talla despotique. Les occupations du lycée furent impuissantes contre elle. Moi qui avais toujours été parmi les premiers de ma classe, je terminai mal mes études. A ma sortie du lycée (j’avais alors dix-neuf ans), ma résolution était prise de rompre tous liens de famille et même, s’il était nécessaire, de m’isoler de tout le monde. J’avais écrit à Pétersbourg qu’on voulût bien désormais me laisser absolument tranquille, ne plus m’envoyer de subsides, et m’ou­blier, si toutefois ce n’était déjà fait ; je notifiais, en outre, ma décision de ne pas entrer à l’Université. J’étais, en effet, pris dans ce dilemme : ou renoncer à l’Université et aux études supérieures, ou ajourner à quatre ans la réalisation de « mon idée »...

Versilov, mon père, que je n’avais vu qu’une fois encore, — à l’âge de dix ans, — Versilov, en réponse à ma lettre, qui cependant ne lui était pas directe­ment adressée, m’appela par lettre à Pétersbourg où, me disait-il, il allait me trouver une place. Ainsi cet homme hautain et taciturne qui, m’ayant mis au monde, puis m’ayant retranché de sa vie, n’avait nul repentir ni de ceci ni de cela et qui sans doute ne possédait sur mon existence même que des notions vagues (comme je le sus plus tard, ce n’est pas lui qui avait supporté les frais de mes années de Mos­cou), cet homme se souvenait brusquement de moi et m’honorait d’une lettre autographe... Un tel appel me séduisit pour ce qu’il avait d’inopiné, et décida de mon sort. D’ailleurs, il me plut que, dans cette lettre (une page de petit format), pas un mot ne con­cernât l’Université, ne me reprochât de refuser de m’instruire, ne m’objurguât de changer d’avis. Bref, aucune des classiques blagues paternelles. Peut-être