Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/35

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rut, guéri ; pourtant il abandonna le service. Versilov affirmait (et peut-être avec trop de chaleur) que le prince n’avait, pas le moins du monde eu un accès de folie, mais simplement des crises de nerfs. Moi-même étais assez enclin à adopter cette version. Rien ne paraissait différencier le Sokolski nouveau du Sokolski d’avant l’aventure, sauf peut-être, selon les gens, une frivolité trop en contraste avec la gravité afférente au noble âge de soixante ans. Notamment, on remarquait en lui une recru­descence de ses penchants matrimoniaux. Plusieurs fois pendant cette année et demie, il avait fait des préparatifs en vue de convoler. On le savait dans le monde et on s’y intéressait. Mais, comme de telles visées correspondaient mal aux intérêts de certaines personnes de son entourage, on veillait sur le vieux. Veuf depuis vingt ans déjà, il n’avait qu’une fille, cette veuve de général qui arriverait de Moscou d’un jour à l’autre, et dont il redoutait le caractère ; mais il pouvait cataloguer, du fait surtout de sa défunte femme, force parents éloignés, qui tous étaient d’as­sez pauvres diables ; en outre, il couvrait de sa pro­tection une légion d’individus de sortes diverses qui tous espéraient bien trouver place dans ses disposi­tions testamentaires et, par conséquent, aidaient la générale à le surveiller. D’autre part, cette manie était sienne, de marier les filles pauvres. Il en mariait depuis vingt-cinq ans déjà, — parentes lointai­nes, filleules, et jusqu’à la fille de son portier. Il les hospitalisait chez lui, dès leur bas âge, les faisait élever par des gouvernantes françaises, puis les pla­çait dans les meilleures écoles et enfin il les dotait et les mariait. Tout ce monde grouillait autour de lui. Ses protégées, naturellement dès le neuvième