Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/39

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que l’arrivée de cette femme dissiperait les ténèbres qui enveloppaient Versilov. Je ne pouvais rester calme, — et je m’irritais de me sentir, au premier pas, gauche et hésitant.

Je me rappelle par le menu toute cette journée...

Touchant la date de l’arrivée, le prince ne savait encore rien : il ne prévoyait pas que sa fille dût quit­ter Moscou avant une semaine. Or, moi, la veille, tout à fait par hasard, j’avais été mis au fait, par des paroles que Tatiana Pavlovna, qui venait de re­cevoir une lettre de la générale, avait chuchotées à ma mère, — des paroles que, sans doute, je n’ai pas écoutées, mais que je ne pouvais pas ne pas entendre quand j’ai vu quel émoi elles provoquaient. A ce moment-là, Versilov était absent.

Je ne voulais pas renseigner le vieillard, ayant re­marqué combien il redoutait le retour de sa fille. Trois jours avant, il avait même indiqué, — oh, très timidement et sur le mode allusif, — qu’à cause de moi il pourrait bien avoir des ennuis. Je dois dire cependant que, dans les relations de famille, il conservait, en somme, son indépendance et son auto­rité, surtout en matière d’argent. D’abord, je fus tenté de le considérer comme une vraie femme ; puis j’admis que, pour faible qu’il fût, il était susceptible de ressauts d’énergie, et que cette énergie était par­fois irréductible. Je note, à titre de curiosité, que nous n’avons presque jamais parlé de la générale ; plus exactement, c’est moi surtout qui évitais d’en parler, — et lui, à son tour, évitait de parler de Versilov. Et je comprenais bien qu’il ne m’eût pas ré­pondu si je lui avais posé une des questions délicates qui m’intéressaient tant.

De quoi nous avons parlé ensemble tout ce mois ?