Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/51

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Cher enfant, tu ne te fâches pas de ce que je le tutoie ? demanda-t-il subitement.

— Point. J’avoue qu’au début, ce me choqua un peu : je songeai à vous tutoyer aussi ; mais je compris que c’eût été une sottise, puisque ce n’était pas pour m’humilier que vous me tutoyiez.

Il ne m’écoutait déjà plus ; il avait oublié sa ques­tion...

— Eh bien, et le père ? demanda-t-il subitement en levant sur moi son regard pensif.

Je tressaillis. Premièrement, il appelait Versilov mon « père », ce qu’il ne se permettait jamais devant moi, et deuxièmement il prenait l’initiative de par­ler de Versilov, chose tout à fait anormale.

— Il est sans argent et très ennuyé, répondis-je sèchement malgré mon désir de voir la conversation se poursuivre.

— Oui, l’argent. Aujourd’hui se décide leur affaire, et j’attends le prince Serge qui doit m’apporter des nouvelles. Il m’a promis de venir me rejoindre dès le prononcé du jugement. C’est toute une fortune qui est en jeu : soixante ou quatre-vingt mille roubles. J’ai toujours fait des vœux pour André Pétrovitch [c’est-à-dire Versilov] et il semble qu’il aura gain de cause et que les princes seront déboutés. La loi est la loi !

— Comment ! c’est aujourd’hui ; que l’affaire se juge ?

Que Versilov eût négligé de m’en informer, cela me frappa. Et sans doute n’avait-il rien dit non plus à ma mère, ni à personne.

— Est-ce que le prince Sokolski est à Pétersbourg ?

— Depuis hier. Il arrive tout droit de Berlin pour la circonstance.

Encore une nouvelle extrêmement grave pour