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NIÉTOTCHKA NEZVANOVA


(Suite[1])


VI


Ma vie nouvelle coulait si douce, si tranquille, que je me croyais parmi des reclus. J’ai vécu chez mes protecteurs pendant plus de huit ans, et je ne me rappelle pas que, pendant tout ce temps, sauf de très rares exceptions, il y ait eu une soirée, un dîner, une réunion d’amis ou de parents. À part deux ou trois personnes, qui venaient rarement, le musicien B…, ami de la maison, les autres visiteurs qui se présentaient chez le mari d’Alexandra Mikhaïlovna venaient pour affaires, et dans la maison on ne recevait personne.

Le mari d’Alexandra Mikhaïlovna, toujours pris par les affaires et par son service, n’avait que fort peu de temps de libre, qu’il partageait également entre sa famille et la vie mondaine. De grandes relations, qu’il lui était impossible de négliger, le forçaient souvent à se montrer dans la société. Presque partout on parlait de son ambition sans bornes, mais bien que jouissant de la réputation d’un homme d’affaires sérieux, puisqu’il occupait une place en vue et que la chance et le succès avaient l’air de lui sourire, l’opinion publique ne lui marchandait pas sa sympathie. Il y avait même plus : tous ressentaient pour lui une sympathie particulière qu’en revanche on refusait absolument à sa femme.

Alexandra Mikhaïlovna vivait dans le plus complet isolement. Mais elle paraissait contente de son sort ; son caractère doux était fait, semblait-il, pour la vie solitaire.

  1. Voy. Mercure de France nos,444, 445, 446, et 447.