Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je ne savais que répondre. Me remettant un peu, je lui transmis confusément l’invitation d’Alexandra Mikhaïlovna. Je ne me rappelle pas ce qu’il me répondit ni comment je sortis de son cabinet, mais, en arrivant chez Alexandre Mikhaïlovna, j’avais totalement oublié la réponse qu’elle attendait, et, à tout hasard, je lui dis qu’il viendrait.

— Mais qu’as-tu, Niétotchka ? me demanda-t-elle, tu es toute rouge ; regarde-toi dans la glace, qu’as-tu ?

— Je ne sais pas… J’ai marché trop vite, répondis-je.

— Qu’a dit Piotr Alexandrovitch ? demanda-t-elle troublée.

Je ne répondis pas. À ce moment, les pas de Piotr Alexandrovitch se firent entendre et, aussitôt, je sortis du salon. J’attendis dans l’angoisse pendant deux heures. Enfin on vint me chercher de la part d’Alexandra Mikhaïlovna. Elle était silencieuse et préoccupée. Au moment où j’entrai, elle jeta sur moi un regard scrutateur, mais aussitôt baissa les yeux. Il me sembla qu’une gêne se reflétait sur son visage. Bientôt je remarquai qu’elle était de mauvaise humeur ; elle parlait peu, ne me regardait pas et, en réponse aux questions de B…, se plaignait du mal de tête. Piotr Alexandrovitch était plus loquace que jamais, mais il ne causait guère qu’avec B…

Alexandra Mikhaïlovna s’approcha distraitement du piano.

— Chantez-nous quelque chose, dit B… en s’adressant à moi.

— Oui, Annette, chante-nous ton nouvel air, reprit Alexandra Mikhaïlovna, comme si elle était heureuse de ce prétexte.

Je la regardai. Elle m’observait dans une attente inquiète.

Mais je ne savais pas me dominer. Au lieu de m’approcher du piano et de chanter quelque chose, je me sentis gênée, je devins confuse, je ne savais comment me dérober. Enfin, prise de dépit, je refusai net.

— Pourquoi ne veux-tu pas chanter ? dit Alexandra Mikhaïlovna en me considérant gravement et jetant en même temps un regard furtif sur son mari.

Ces deux regards mirent le comble à ma nervosité. Je me levai de table très troublée, mais déjà sans rien dissimuler et tremblant d’une émotion incompréhensible, je répétai avec chaleur que je ne voulais pas, que je ne pouvais pas chanter, que j’étais mal disposée. En disant cela, je les regardais tous deux