Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/43

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déboutonna son gilet, prit une clef suspendue à son cou par un ruban noir, puis, en me regardant mystérieusement, comme s’il désirait lire dans mes yeux le contentement que, selon lui, je devais manifester, il ouvrit le coffre et, avec mille précautions, en sortit une boîte noire d’une forme bizarre, que je n’avais encore jamais vue. Il prit cette boîte avec une sorte de tremblement et sa physionomie se transforma soudain : le rire disparut de son visage qui tout à coup prit une expression grave et solennelle. Enfin, avec la clef il ouvrit la boîte mystérieuse et en sortit un objet que je n’avais jamais vu non plus, un objet dont la forme, au premier abord, me parut extraordinaire. Il le prit soigneusement, respectueusement, et m’apprit que c’était son instrument, son violon. Alors il se mit à me dire d’une voix basse, solennelle, des choses que je ne comprenais pas. Je n’ai retenu dans ma mémoire que les phrases que je connaissais déjà, qu’il était un artiste, qu’il avait un grand talent, qu’un jour il jouerait du violon et qu’alors nous tous serions riches et connaîtrions le bonheur. Les larmes emplissaient ses yeux et coulaient sur ses joues. J’étais très émue. Enfin, il baisa le violon, me le fit baiser, et voyant mon grand désir de l’examiner de plus près, il me conduisit vers le lit de maman et me mit le violon dans les mains. Mais je voyais qu’il tremblait de peur que je ne le laissasse tomber et qu’il se brisât. Je pris le violon dans ma main et touchai les cordes qui rendirent un son très faible. — « C’est la musique », dis-je en regardant mon père. — « Oui, oui, la musique », fit-il en se frottant joyeusement les mains. — « Tu es une enfant sage. Tu es une bonne petite fille ! »

Mais malgré ses louanges et son enthousiasme, je voyais qu’il avait peur pour son violon et la crainte me saisit aussi. Je le lui rendis le plus vite possible. Avec les mêmes précautions le violon fut replacé dans sa boîte et celle-ci mise sous clef dans le coffre. Puis mon père, me caressant de nouveau la tête, me promit de me montrer le violon chaque fois que je serais, comme maintenant, sage, bonne et obéissante. C’est ainsi que le violon dissipa notre chagrin commun. Mais le soir, mon père, en sortant, me chuchota de ne pas oublier ce qu’il m’avait dit la veille.

Je grandis ainsi dans notre taudis et peu à peu mon affection ou plutôt ma passion, — car je ne connais pas de mot assez