Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/59

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la couverture qui cachait le visage, qu’il se mit à palper avec la main. Je tressaillis. Il se pencha encore une fois et appuya presque sa tête sur le visage de maman. Mais quand il se releva pour la dernière fois, une sorte de sourire passa sur sa face extraordinairement pâle. Il ramena doucement et soigneusement la couverture du lit sur maman, lui enveloppant la tête et les jambes… Je commençais à trembler d’une terreur incompréhensible. J’avais peur pour maman, j’avais peur de son sommeil profond, et avec inquiétude je regardais cette ligne immobile que dessinait son corps sous la couverture. Une terrible pensée traversa comme la foudre mon esprit !

Tous ces préparatifs terminés, mon père se dirigea de nouveau vers l’armoire et but le reste du vin. Il tremblait de tout son corps en s’approchant de la table. Il était méconnaissable, tellement il était pâle. De nouveau il prit son violon. J’avais vu ce violon et je savais ce que c’était, mais maintenant j’attendais quelque chose de terrible, d’effrayant, de merveilleux, et je tressaillis aux premiers sons. Mon père commençait à jouer. Mais les sons étaient saccadés. À chaque instant mon père s’arrêtait, comme s’il cherchait à se rappeler quelque chose. Enfin, d’un air déchiré, douloureux, il posa son archet et regarda vers le lit d’une façon étrange. Là, quelque chose ne cessait de l’inquiéter. Il s’approcha de nouveau du lit… Je ne perdais pas un seul de ses mouvements, et, saisie d’un sentiment atroce, je le suivais du regard.

Tout d’un coup, hâtivement, ses mains se mirent à chercher quelque chose et, de nouveau, la même pensée terrible me brûla comme la foudre. Il me vint en tête : « Pourquoi donc maman dort-elle si profondément ? Pourquoi ne s’éveille-t-elle pas quand il tâte son visage avec sa main ? » Enfin je vis qu’il ramassait tout ce qu’il pouvait trouver de notre garde-robe. Il prit le manteau de maman, son vieux veston, sa robe de chambre, même la robe que j’avais ôtée en me couchant, et il mit tout cela sur maman, la roulant ainsi presque complètement dans cet amas de vêtements. Elle était toujours immobile ; pas un de ses membres ne remuait. Elle dormait d’un profond sommeil !

Quand il eut achevé son travail il respira plus librement. Maintenant rien ne le dérangeait plus ; toutefois quelque chose l’inquiétait encore. Il déplaça la bougie et se tourna face à