Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/60

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la porte, afin de ne pas voir même le lit. Alors, il prit le violon et, d’un geste désespéré, brandit l’archet.

La musique commença. Mais ce n’était pas de la musique… Je me rappelle tout cela avec une netteté particulière. Je me rappelle tout ce qui, en cet instant, frappa mon attention. Non, ce n’était pas de la musique telle que j’ai eu l’occasion d’en entendre plus tard. Ce n’étaient pas des sons de violon ; on eût dit une voix terrible hurlant dans notre sombre logis.

Étaient-ce mes sens ou mes sentiments maladifs, anormaux qui étaient frappés de tout ce dont j’étais témoin, mais je suis fermement convaincue que j’entendais des gémissements, des cris humains, des sanglots. Un terrible désespoir jaillissait de ces sons et quand enfin éclata l’effrayant accord final, il me sembla que s’unissait en un seul ensemble tout ce qu’il y a de plus épouvantable dans les souffrances, l’angoisse et l’agonie…

Je n’en pouvais plus. Je tremblais ; les larmes jaillissaient de mes yeux et, dans un cri fou, désespéré, je me jetai vers mon père et l’enlaçai de mes bras. Il poussa un cri et posa le violon.

Pendant une minute, il parut comme éperdu. Enfin ses yeux coururent de tous côtés. Il avait l’air de chercher quelque chose. Soudain, il saisit le violon et l’agita au-dessus de ma tête… Encore un moment et peut-être il m’aurait tuée.

— « Père ! petit père ! » m’écriai-je.

À ma voix il se remit à trembler comme une feuille et recula de deux pas.

— « Ah ! ah ! tu es encore là ! Alors tout n’est pas terminé ! Alors tu es restée avec moi ! » s’écria-t-il, en me soulevant par les épaules.

— « Père ! m’écriai-je de nouveau, ne m’effraye pas, je t’en supplie ! J’ai peur ! Ah ! »

Mes larmes l’étonnèrent. Il me posa doucement sur le sol et, pendant une minute, me regarda en silence, comme s’il cherchait à me reconnaître et à se rappeler quelque chose. Enfin, tout d’un coup, il sembla bouleversé, comme frappé par une idée terrible ; des larmes jaillirent de ses yeux troublés ; il se pencha vers moi et se mit à regarder attentivement mon visage.

— « Petit père, lui dis-je, tremblant de peur, ne me