Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/69

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je regardai avec un triste étonnement, on me coiffa et on me fit descendre dans l’appartement de la princesse. Quand j’y fus entrée, je m’arrêtai comme étourdie. Je n’avais encore jamais vu une telle richesse, une pareille magnificence. Mais cette impression dura peu et je devins pâle en entendant la voix de la princesse qui ordonnait de me conduire près d’elle. Tandis qu’on m’habillait j’avais pensé, — Dieu sait pourquoi j’avais eu une pareille pensée, — qu’on me préparait à quelque chose qui me ferait souffrir.

En général, j’étais entrée dans ma nouvelle vie avec une méfiance étrange pour tout ce qui m’entourait. Mais la princesse se montra très affable envers moi, et elle m’embrassa. Je m’enhardis à la regarder. C’était cette même belle dame que j’avais aperçue quand j’avais repris connaissance après ma syncope. Mais je tremblais toute en lui baisant la main et je n’avais pas la force de répondre à ses questions. Elle m’ordonna de m’asseoir près d’elle sur un tabouret bas. Cette place paraissait avoir été préparée pour moi. On voyait que la princesse ne demandait pas mieux que de s’attacher à moi de toute son âme, de me combler de caresses et de remplacer près de moi ma mère ; mais je ne pouvais nullement comprendre que c’était un hasard heureux pour moi, et je ne gagnai guère dans son opinion.

On me donna un très beau livre d’images en me disant de le regarder. La princesse écrivait une lettre. De temps en temps elle posait sa plume et se mettait à causer avec moi ; mais je me troublais et ne pouvais rien dire de convenable. En un mot, bien que mon histoire fût extraordinaire, que la fatalité et différentes voies mystérieuses même y jouassent un grand rôle, et qu’en général elle fût pleine de choses intéressantes, inexplicables et même fantastiques, moi, personnellement, contrairement à toute cette mise en scène mélodramatique, j’étais une enfant très ordinaire, timide et même sotte.

C’est ce qui surtout ne plaisait pas à la princesse et il me parut que bientôt elle en avait assez de moi, ce dont j’étais seule coupable.

Vers trois heures, les visites commencèrent. La princesse devint soudain plus attentive, plus tendre à mon égard. Aux questions des visiteurs sur moi elle répondait que c’était une