Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/73

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cesse, qui aimait passionnément ses enfants, n’avait rien osé dire en se séparant d’eux pour toute la durée du deuil. J’ai oublié de dire que toute la maison du prince, quand j’y fus recueillie, était encore en deuil, mais déjà le délai du deuil touchait à sa fin.

La vieille princesse était toute de noir vêtue ; elle portait une simple robe de lainage avec un petit col blanc plissé, ce qui lui donnait l’air d’une sœur converse ; son chapelet ne la quittait pas ; elle faisait des sorties solennelles pour se rendre à la messe, observait tous les jeûnes, recevait la visite de différents ecclésiastiques, lisait des livres pieux et, en général, menait une vie presque monacale.

Le silence, en haut, était terrifiant. Il était impossible de faire grincer une porte ; la vieille avait l’ouïe d’une jeune fille de quinze ans, et envoyait aussitôt savoir quelle était la cause du bruit, le bruit ne fût-il même qu’un simple craquement. Tous parlaient à voix basse ; tous marchaient sur la pointe des pieds, et la pauvre Française, elle aussi une femme âgée, avait été obligée de renoncer aux chaussures à talons, que cependant elle préférait : les talons étaient prohibés.

Deux semaines après mon installation, la vieille princesse envoya prendre des renseignements sur moi : qui j’étais, comment je me trouvais dans la maison, etc. Très respectueusement et immédiatement on lui donna satisfaction. Alors on envoya à la Française un second message, afin de demander pourquoi la princesse, jusqu’à ce jour, ne m’avait pas vue. Aussitôt, il se fit un grand remue-ménage : on me peigna, on me lava le visage et les mains, bien qu’ils fussent très propres, on m’apprit comment je devais marcher, saluer, regarder plus gaiement, plus affablement, parler, bref, je fus chapitrée de tous côtés. Ensuite une messagère fut envoyée de notre part pour demander si la princesse désirait voir l’orpheline. La réponse fut négative ; mais j’étais convoquée pour le lendemain, après la messe. Je ne dormis pas de la nuit. On m’a raconté depuis que toute la nuit j’avais eu le délire, disant que je devais aller chez la princesse pour lui demander pardon. Enfin, la présentation eut lieu. Je vis une petite vieille très maigre, assise dans un immense fauteuil. Elle me salua d’un signe de tête et mit ses lunettes pour mieux m’examiner. Je me rappelle que je ne lui plus pas du tout. Elle fit la remarque que j’étais tout à