Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— « À toi, dis-je après un silence.

— « Cela te fait plaisir ?

— « Oui.

— « Alors tu m’aimes ?

— « Oui.

— « Et moi, je ne t’aime pas encore. Tu es si maigre ! Voilà, je t’apporterai du gâteau. Eh bien, au revoir ! »

Et la petite princesse, après m’avoir embrassée, disparaissait de la chambre presque en courant.

Mais après le dîner, en effet, elle m’apporta du gâteau. Elle courait comme une folle en criant de joie qu’elle m’apportait à manger quelque chose qui m’était défendu.

— « Mange davantage, mange bien. C’est mon morceau de gâteau. Je n’en ai pas mangé. Eh bien, au revoir ! »

J’avais eu à peine le temps de l’apercevoir.

Une autre fois, elle accourut chez moi après le dîner ; ses boucles noires étaient déplacées comme après un coup de vent ; ses joues étaient empourprées ; ses yeux brillaient. C’était l’indice qu’elle venait de courir et de sauter depuis une heure ou deux.

— « Sais-tu jouer au volant ? cria-t-elle très vite et en se hâtant de sortir.

— « Non, répondis-je, avec un grand regret de ne pouvoir dire oui.

— « Eh bien, quand tu seras guérie, je t’apprendrai. C’est seulement pour ça que je suis venue. Maintenant je joue avec Mme Léotard. Au revoir. On m’attend. »

Enfin je pus quitter le lit, mais j’étais encore très faible. Ma première pensée fut de ne pas me séparer de Catherine. J’étais attirée vers elle irrésistiblement. Je n’avais pas assez d’yeux pour la regarder. Cela étonnait Catherine. L’attrait que je ressentais pour elle était si fort, je m’adonnais à ce nouveau sentiment avec une telle ardeur qu’elle ne pouvait ne pas le remarquer. D’abord cela lui parut une bizarrerie extraordinaire. Je me rappelle qu’une fois, pendant que nous jouions, ne pouvant me retenir, je me jetai à son cou et me mis à l’embrasser. Elle se dégagea de mon étreinte, me prit les mains et, les sourcils froncés, comme si je l’avais offensée, me demanda :

— « Qu’as-tu ? Pourquoi m’embrasses-tu ?