Page:Doyle - La Main brune.djvu/62

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toutes reposant sur du velours rouge, et brillant dans l’obscurité. Les doigts me démangeaient de les atteindre, et déjà je m’apprêtais, avec mon couteau, à faire sauter l’une des serrures. Mais la dame étendit sa main sur mon bras.

« Un moment, dit-elle. Vous avez mieux à faire. Des souverains d’or ne valent-ils pas mieux que ces médailles ?

— Évidemment, dis-je. C’est ce qu’il y a de mieux.

— Bien, reprit-elle. Mon mari dort là-haut, juste au-dessus de notre tête. Un simple petit escalier nous sépare de lui. Il y a, sous son lit, une boîte en fer-blanc, et, dans cette boîte, assez d’argent pour remplir ce sac.

— Comment faire sans l’éveiller ?

— Que vous importe qu’il s’éveille ? »

Et me regardant d’un œil fixe :

« Vous pouvez l’empêcher d’appeler.

— Non, madame, non, pas cela.

— Comme il vous plaira, conclut-elle. Je vous prenais, à vous voir, pour un homme de courage ; je m’aperçois que je me trompais. Du moment qu’un vieillard vous intimide, vous ne pouvez pas, bien entendu, lui prendre son argent sous son lit. Vous êtes seul juge de vos affaires. Mais j’attendais mieux de vous. Et vous devriez, je crois, choisir un autre métier.

— Je ne veux pas d’un meurtre sur ma conscience.

— Vous pouvez vous assurer de lui sans lui faire aucun mal. Qui vous parle de meurtre ? L’argent est sous le lit. Qu’il y reste si le cœur vous manque ! »

Ainsi, elle m’excitait par du sarcasme, elle me tentait avec cet argent qu’elle faisait miroiter sous mes yeux. Et sans doute j’aurais fini par céder, je serais monté à tout hasard, si, voyant de quels yeux perfides et malicieux elle me regardait me débattre, je n’avais compris qu’elle voulait faire de moi un instrument de sa vengeance et ne me laissait pas d’autre alternative que de violenter le vieillard ou de me laisser prendre. Elle sentit qu’elle allait trop loin, car elle se transfigura tout d’un coup et se mit à me sourire. Trop tard : je savais à quoi m’en tenir.

« Je n’irai pas là-haut, déclarai-je. J’ai ici tout ce que je désire. »

Elle me toisa, et du plus haut qu’on eût jamais toisé un homme.

« Soit ! Enlevez ces médailles. Vous me ferez plaisir en commençant de ce côté. Je suppose qu’une fois fondues elles auront toutes la même valeur ; mais celles que voici sont les plus rares, et, par conséquent, ont pour lui le plus de prix. Inutile de forcer les serrures ; vous n’avez qu’à presser ce bouton de cuivre, il y a un ressort secret. Là ! D’abord cette grande. Il y tient comme à la prunelle de ses yeux. »

Elle avait ouvert un des meubles, et toutes ces belles choses s’offraient à moi. J’allais faire main basse sur les médailles qu’elle me désignait, quand je la vis changer de visage et lever le doigt comme pour m’avertir.

« Chut ! murmura-t-elle. Qu’y a-t-il ? »

Au loin, dans le silence de la maison, nous entendîmes un bruit sourd et traînant, un bruit de pas. Elle referma instantanément le meuble.

« Mon mari ! souffla-t-elle. C’est bien, ne vous effrayez pas, j’arrangerai tout. »

Elle me poussa, mon sac à la main, derrière la tapisserie, et, s’éclairant de son rat de cave, regagna vivement la chambre d’où nous sortions. Bien que caché, je continuais de l’apercevoir par la porte ouverte.

« Est-ce vous, Robert ? » cria-t-elle.

La flamme d’une bougie éclaira le seuil du musée ; les pas se rapprochèrent ; et je vis apparaître un visage, un grand visage sévère, tout en os et en plis, avec un énorme nez crochu et des lunettes d’or. La tête se rejetait en arrière à cause des lunettes, et le nez faisait saillie sur le visage comme un bec d’oiseau. L’homme était grand et gros, tellement que dans sa robe de chambre flottante il semblait remplir tout le cadre de la porte. Ses cheveux bouclaient autour de sa tête. Il n’avait pas de barbe. Sa bouche mince, petite et pincée, se dissimulait profondément sous le nez impérieux. Il restait là, sa bougie en avant, et regardait sa femme d’un air étrangement hostile. Je devinai à le voir qu’il avait pour elle la même affection qu’elle avait pour lui.

« Eh bien, demanda-t-il, qu’est-ce donc ? Encore un accès d’humeur ? Qu’avez-vous à rôder ainsi dans la maison ? Pourquoi n’allez-vous pas vous coucher ?

— Je n’ai pas sommeil, » dit-elle.

Elle traînait sur les mots, avec lassitude. Si jamais cette femme avait été