Page:Doyle - La Main brune.djvu/88

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que l’animal était aussi sauvage que son maître. Comment le tenir à distance jusqu’au jour ? Rien à espérer du côté de la porte. Pas davantage du côté des fenêtres, étroites et fermées par des barreaux. Nul refuge dans cette salle nue et pavée de dalles. Inutile d’appeler au secours : je savais que ce repaire ne faisait point proprement partie de la maison, et que le corridor qui l’y rattachait avait au moins cent pieds de long. D’ailleurs, avec le vent qui soufflait, aucune chance que mes cris fussent entendus. Je ne pouvais m’en remettre qu’à mon sang-froid et à mon courage. Mais, avec un redoublement d’horreur, je regardai la lanterne. La bougie arrivait à sa fin et commençait de couler. Elle s’éteindrait dans dix minutes. Je n’avais donc que dix minutes pour agir ; car je sentais que je n’en aurais plus le pouvoir, une fois resté dans le noir avec l’effroyable bête. L’idée seule d’une telle situation me paralysait. J’inspectai avec désespoir cette chambre funèbre et m’avisai d’un endroit qui semblait me promettre, non pas, positivement, la sécurité, mais un danger moins immédiat que le sol lui-même.

J’ai dit que la cage était grillée dans le haut comme sur le devant : quand le devant se déplaçait, le grillage supérieur restait en place. Ce grillage supérieur, fait de barreaux espacés de quelques pouces et réunis par un fort réseau de fil de fer, reposait à chaque extrémité sur un gros étançon. Il formait de la masse redoutable qui s’écrasait comme un grand baldaquin au-dessus dans l’angle de la cage. Un intervalle de deux à trois pieds environ le séparait du toit. Supposé que j’y pusse grimper et m’y tenir aplati entre les barreaux et la toiture, je n’aurais qu’un côté vulnérable. Je serais en sûreté par dessous, par derrière, à droite et à gauche. Je ne pourrais être assailli qu’en face. De ce côté, sans doute, je n’avais aucune protection ; mais, du moins, l’animal, quand il commencerait ses allées et venues ne me trouverait pas sur son chemin, et il devrait en sortir pour m’atteindre. J’avais à me décider tout de suite ; une fois morte la flamme de ma lanterne, il serait trop tard. Je respirai à pleine gorge, bondis, agrippai le bord du grillage supérieur et m’y balançai. Le cœur me battait avec violence. Enfin, par mille contorsions, je m’insinuai à plat ventre au-dessus de la cage, d’où je me trouvai plongeant sur les terribles yeux et les mâchoires béantes du fauve ; sa fétide haleine me montait à la figure comme une vapeur empoisonnée.

Il semblait, du reste, plus curieux que furieux. Il se dressa, faisant onduler sa longue échine d’ébène poli, s’étira, puis, soulevé sur ses pattes de derrière, appuyant au mur une patte de devant, il leva l’autre, dont il promena les griffes blanches le long des mailles de fil de fer sous moi. L’une des griffes déchira mon pantalon — je dois dire que j’étais encore en habit — et creusa un sillon dans mon genou. Il y avait là, de la part du chat, non pas une manœuvre offensive, mais plutôt une expérience ; car, un cri de douleur m’ayant échappé, il se laissa retomber sur ses quatre pattes, et sauta dans la salle, autour de laquelle il se mit à décrire des cercles rapides, en regardant de temps à autre dans ma direction. Je me tournai de biais, jusqu’à toucher du dos la muraille, de façon à tenir le moins de place possible. Plus je me reculais, plus je me dérobais aux atteintes.

On eût dit que le chat s’excitait par le mouvement. Il tournait toujours, très vite, sans bruit, autour de sa tanière, passait et repassait sans trêve au-dessous du lit de fer qui me portait. Chose admirable que ce corps énorme se déplaçât avec la légèreté d’une ombre et qu’on n’entendît sur son passage que de petits chocs mous comme ceux de tampons de velours ! La bougie brûlait bas, si bas qu’à peine je distinguais l’animal. Tout d’un coup, après un dernier éclat, un dernier grésillement, elle s’éteignit. Je restai seul avec le chat dans les ténèbres.

On envisage plus délibérément le danger quand on a conscience d’avoir fait tout son possible ; on n’a plus qu’à voir venir. Pour moi, s’il me restait une chance de salut, c’était seulement à l’endroit précis que j’occupais. Je m’allongeai donc et demeurai immobile, retenant mon souffle, espérant que la bête m’oublierait peut-être si j’évitais de me rappeler à elle. Je calculai qu’il devait être deux heures. À quatre, le jour commencerait à poindre. Je n’avais plus que deux heures à l’attendre.