Page:Doyle - Le Monde perdu.djvu/118

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L’ennemi ne se fit pas attendre. Une clameur violente, aiguë, sortit des bois, et tout un parti d’hommes-singes, brandissant des massues, lançant des cailloux, se rua sur notre centre. Charge héroïque, mais folle, car ils se mouvaient lentement, à cause de leurs jambes trop courtes, et les Indiens leur opposaient une agilité de chats. C’était horrible de voir ces êtres féroces, l’écume à la bouche, la flamme aux yeux, s’élancer pour saisir leurs ennemis qui, se dérobant, les criblaient de flèches. Un d’eux, lardé de traits dans la poitrine et dans les côtes, passa devant moi en hurlant de douleur. Je lui envoyai, d’une balle dans le front, le coup de grâce, et il s’étala parmi les aloès. Ce fut la seule balle tirée ; le centre n’eut pas besoin de notre aide pour vaincre. De tous les hommes-singes descendus en champ libre, je ne crois pas qu’un seul regagna le couvert.

Mais, dans les bois, l’affaire devint plus sérieuse. Pendant plus d’une heure après que nous y fûmes entrés, il y eut un combat désespéré, où nous eûmes de la peine à tenir bon. S’élançant du milieu des fourrés, les hommes-singes, avec leurs énormes massues, assommaient parfois trois ou quatre Indiens avant de tomber eux-mêmes sous les lances. Partout où ils frappaient, ils écrasaient. Un d’eux, qui venait de réduire en pièces le fusil de Summerlee, allait lui broyer le crâne, quand un Indien lui planta son couteau dans le cœur. D’autres, du haut des arbres, faisaient pleuvoir sur nous des pierres et des morceaux de branches ; quelquefois, se laissant tomber dans nos rangs, ils luttaient avec fureur, jusqu’à la mort. Nos alliés fléchirent un instant sous la pression, et certainement ils eussent lâché pied sans les ravages exercés par nos rifles. Vaillamment ralliés par leurs vieux chefs, ils revinrent avec une telle impétuosité qu’à leur tour les hommes-singes commencèrent déplier. Summerlee n’avait plus d’arme ; mais je tirais sans relâche, et nous entendions crépiter sans relâche sur notre flanc droit les rifles de nos camarades. Alors, tout d’un coup, chez l’ennemi, ce fut la panique, la débandade. Glapissant et hurlant, les grandes bêtes s’enfuirent dans toutes les directions. Nos alliés se jetèrent à leurs trousses. L’air retentissait de leurs cris joyeux. Ils avaient à liquider en ce jour une rivalité vieille de siècles innombrables, et tout ce qu’elle supposait de haines, de cruautés, de mauvais souvenirs dans le cadre de leur étroite histoire. L’homme devait enfin avoir le dernier mot et reléguer à sa place l’homme-bête. Les fugitifs ne pouvaient échapper. De tous côtés, dans les bois, se mêlaient, aux clameurs du triomphe, le sifflement des flèches et le bruit d’écrasement que faisaient, en tombant des arbres sur le sol, les corps des hommes-singes.

Je suivais les autres, quand lord John et Challenger nous rejoignirent.

— C’est fini, dit lord John. Je crois que nous pouvons compter sur nos amis pour un bon nettoyage. Moins nous en verrons, et mieux, peut-être, cela vaudra pour notre sommeil. (À suivre).

CONAN DOYLE.