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52        NOUVELLES AVENTURES DE SHERLOCK HOLMES

point de départ et supposons que le récit du jeune homme soit rigoureusement exact. Dans ce cas que signifie ce « Couhi » ? Cet appel n’était évidemment pas à l’adresse de son fils qu’il croyait encore à Bristol. C’est par hasard que le jeune homme se trouvait à portée de sa voix. Le « Couhi » était donc un signal à la personne avec laquelle il avait un rendez-vous. Mais « Couhi » est un cri essentiellement australien et employé par les habitants de cette colonie. Il y a donc de fortes présomptions pour que la personne que Mac Carthy s’attendait à rencontrer à l’étang de Boscombe fût un Australien.

— Alors, que signifie rat ?

Sherlock Holmes tira de sa poche un papier plié et l’étendit sur la table.

— Ceci est une carte de la colonie de Victoria, dit-il. J’ai télégraphié à Bristol hier soir pour la demander.

Il cacha une partie de la carte avec sa main.

— Que lisez-vous là ? me demanda-t-il.

— Je lis : rat.

— Et maintenant ? dit-il en levant la main.

— Ballarat.

— Parfaitement. C’est ce mot-là que le mourant a prononcé et dont son fils n’a entendu que la dernière syllabe. C’est le nom de son assassin : un tel de Ballarat.

— Merveilleux ! m’écriai-je.

— Cela saute aux yeux. Et maintenant, vous voyez que j’ai bien restreint les recherches. Enfin il y a un troisième point qui devient une certitude si le récit du fils est correct : c’est que l’assassin est possesseur d’un manteau gris. Nous ne sommes plus dans le vague et nous partons d’une base sûre ; l’assassin est un Australien de Ballarat qui a un manteau gris.

— Il n’y a pas de doute.

— Et un homme qui habitait le district, car la mare n’est accessible que par la ferme ou par le domaine sur lequel les étrangers s’aventurent rarement.

— Parfaitement.

— Enfin, il résulte de notre expédition d’aujourd’hui sur les lieux du crime, et de l’examen du sol, les détails que j’ai donnés à cet imbécile de Lestrade, sur la personnalité du criminel.

— Mais comment les avez-vous acquis, ces détails ?

— Vous connaissez ma méthode. Elle est fondée sur l’observation la plus minutieuse. Je sais qu’il est possible de juger approximativement de la taille de quelqu’un par l’écartement de son pas et aussi de ses bottines par leur empreinte.

— Oui, ce sont des bottines particulières. Mais vous dites qu’il est boiteux ?

— L’empreinte du pied droit est constamment moins distincte que celle du pied gauche ; c’est donc qu’il appuie moins dessus. Pourquoi ? Parce qu’il est infirme, parce qu’il boite.

— Vous ajoutez qu’il est gaucher.

— Vous avez sûrement été frappé par la nature de la blessure décrite par le chirurgien lors de sa déposition. Le coup a été porté directement par derrière et cependant à gauche. C’est bien le fait d’un gaucher. Il est sûrement resté derrière l’arbre pendant l’entrevue du père et du fils. Il a même fumé à cet endroit. J’ai retrouvé là la cendre d’un cigare que mes connaissances particulières en cendres de tabac me permettent de reconnaître pour avoir été un cigare indien. Vous savez que je me suis appliqué à cette étude et que j’ai écrit une petite monographie sur les cendres de cent quarante variétés différentes de tabacs de pipe, de cigare et de cigarette. Après avoir trouvé de la cendre j’ai cherché tout autour, dans la mousse, le bout de cigare qui avait dû être jeté là et je l’ai découvert. C’était, en effet, un cigare indien de la qualité fabriquée à Rotterdam.

— Et le porte-cigare ?

— J’ai constaté que le bout du cigare n’avait pas été mis dans la bouche ; l’individu avait donc employé un bout pour le fumer. La pointe avait été coupée et non mordue, mais la coupure n’était pas nette, d’où j’ai conclu qu’il avait un couteau émoussé.

— Holmes, dis-je, vous avez pris cet homme dans les mailles d’un filet d’où il ne pourra pas s’échapper et vous avez sauvé la vie d’un innocent avec autant