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Bref, louë qui voudra son art, et son mestier,
Mais cestui-là, Morel, n’est pas mauvais ouvrier,
Lequel sans estre fol, peut estre bon poëte.

CXLVII

Ne te fasche, Ronsard, si tu vois par la France
Fourmiller tant d’escrits : ceux qui ont merité
D’estre advouez pour bons de la posterité,
Portent leur sauf-conduit et lettre d’asseurance.

Tout œuvre qui doit vivre, il a dès sa naissance
Un Demon qui le guide à l’immortalité :
Mais qui n’a rencontré telle nativité,
Comme fruict abortif, n’a jamais accroissance.

Virgile eut ce Demon, et l’eut Horace encor’,
Et tous ceux qui du temps de ce bon siècle d’or
Estoient tenuz pour bons : les autres n’ont plus vie.

Qu’eussions-nous leurs escrits, pour voir de nostre temps
Ce qui aux anciens servoit de passetemps,
Et quels estoient les vers d’un indocte Mevie.

CXLVIII

Autant comme lon peut en un autre langage
Une langue exprimer, autant que la nature
Par l’art se peut monstrer, et que par la peinture
On peut tirer au vif un naturel visage :

Autant exprimes-tu, et encor d’avantage
Avecques le pinceau de ta docte escriture
La grace, la façon, le port, et la stature
De celuy, qui d’Enee a descrit le voyage.

Ceste mesme candeur, ceste grace divine,
Ceste mesme douceur, et majesté Latine,
Qu’en ton Virgile on voit, c’est celle mesme encore,

Qui Françoise se rend par ta celeste veine.
Des-Masures, sans plus, a faute d’un Mecene,
Et d’un autre Cesar, qui ses vertus honore.