Page:Du Bellay - Œuvres complètes, édition Séché, tome 3.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Et si n’a volonté d’en sortir jamais hors.

Donques, de l’eau d’oubli ne l’abreuvez, Madame,
De peur qu’en la beuvant nouveau desir l’enflamme
De retourner encor dans l’enfer de son corps.

CLXXV

Non pource qu’un grand Roy ait esté vostre pere,
Non pour vostre degré, et royale hauteur,
Chacun de vostre nom veut estre le chanteur,
Ni pource qu’un grand Roy soit ores vostre frere.

La nature, qui est de tous commune mere,
Vous fit naistre, Madame, avecques ce grand heur,
Et ce qui accompagne une telle grandeur,
Ce sont souvent des dons de fortune prospere.

Ce qui vous fait ainsi admirer d’un chascun,
C’est ce qui est tout vostre, et qu’avec vous commun
N’ont tous ceux-là qui ont couronnes sur leurs testes :

Ceste grace, et douceur, et ce je ne sçay quoy,
Que quand vous ne seriez fille, ni sœur de Roy,
Si vous jugeroit-on estre ce que vous estes.

CLXXVI

Esprit royal, qui prens de lumiere eternelle
Ta seule nourriture, et ton accroissement,
Et qui de tes beaux rais en nostre entendement
Produis ce haut desir, qui au ciel nous r'appelle,

N’apperçois-tu combien par ta vive estincelle
La vertu luit en moy ? n’as-tu point sentiment
Par l’œil, l’ouïr, l’odeur, le goust, l’attouchement,
Que sans toy ne reluit chose aucune mortelle ?

Au seul object divin de ton image pure
Se meut tout mon penser, qui par la souvenance
De ta haute bonté tellement se r'asseure,

Que l’ame et le vouloir ont pris mesme asseurance
(Chassant tout appetit et toute vile cure)
De retourner au lieu de leur premiere essence.