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Antiquitez de Rome

L’art, et le ciel (Rome) te vienne voir :
J’entens s’il peut ta grandeur concevoir
Par ce qui n’est que ta morte peinture.
Rome n’est plus, et si l’architecture
Quelque ombre encor de Rome fait revoir,
C’est comme un corps par magique sçavoir,
Tiré de nuist hors de sa sepulture.
Le corps de Rome en cendre est devallé,
Et son esprit rejoindre s’est allé
Au grand esprit de ceste masse ronde,
Mais ses escrits, qui son los le plus beau
Malgré le temps arrachent du tombeau,
Font son idole errer parmi le monde.

VI

Telle que dans son char la Berecynthienne
Couronnee de tours, et joyeuse d’avoir
Enfanté tant de Dieux, telle se faisoit voir
En ses jours plus heureux ceste ville ancienne :
Ceste ville, qui fut plus que la Phrygienne
Foisonnante en enfans, et de qui le pouvoir
Fut le pouvoir du monde, et ne se peut revoir
Pareille à sa grandeur, autre sinon la sienne.
Rome seule pouvoit à Rome ressembler,
Rome seule pouvoit Rome faire trembler :
Aussi n’avoit permis l’ordonnance fatale
Qu’autre pouvoir humain, tant fust audacieux,
Se vantast d’esgaler celle qui fit esgale
Sa puissance à la terre et son courage aux cieux.

VII

Sacrez costaux, et vous sainctes ruines,
Qui le seul nom de Rome retenez,
Vieux monumens qui encor soustenez
L’honneur poudreux de tant d’âmes divines :
Arcs triomphaux, pointes du ciel voisines,
Qui de vous voir le ciel mesme estonnez,
Las, peu à peu cendre vous devenez,
Fable du peuple, et publiques rapines !

Et bien qu’au temps pour un temps fassent guerre