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Œuvres complètes de J. Du Bellay

Tel encor’ on a veu par-dessus les humains
Le front audacieux des sept costaux Romains
Lever contre le ciel son orgueilleuse face :
Et tels ores on voit ces champs deshonorez
Regretter leur ruine, et les Dieux asseurez
Ne craindre plus là haut si effroyable audace.

XIII

Ni la fureur de la flamme enragee,
Ni le tranchant du fer victorieux,
Ni le degast du soldat furieux,
Qui tant de fois (Rome) t’a saccagee,
Ni coup sur coup ta fortune changee,
Ni le ronger des siecles envieux,
Ni le despit des hommes et des Dieux,
Ni contre toy ta puissance rangee,
Ni l’esbranler des vents impetueux,
Ni le desbord de ce Dieu tortueux
Qui tant de fois t’a couvert de son onde,
Ont tellement ton orgueil abbaissé,
Que la grandeur du rien qu’ils t’ont laissé,
Ne face encor’ esmerveiller le monde.

XIV

Comme on passe en esté le torrent sans danger,
Qui souloit en hyver estre roy de la plaine,
Et ravir par les champs d’une fuite hautaine
L’espoir du laboureur, et l’espoir du berger :
Comme on voit les couards animaux outrager
Le courageux lyon gisant dessus l’arene,
Ensanglanter leurs dents, et d’une audace vaine
Provoquer l’ennemi qui ne se peut venger ;
Et comme devant Troye on vit des Grecs encor
Braver les moins vaillans autour du corps d’Hector :
Ainsi ceux qui jadis souloyent, à teste basse,
Du triomphe Romain la gloire accompagner,
Sur ces poudreux tombeaux exercent leur audace,
Et osent les vaincus les vainqueurs desdaigner.