Page:Du Bellay - Œuvres complètes, édition Séché, tome 3.djvu/65

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Le sage nocher craint la faveur de Neptune,
Sçachant que le beau temps long temps ne peut durer :
Et ne vaut-il pas mieux quelque orage endurer,
Que d’avoir tousjours peur de la mer importune ?

Par la bonne fortune on se trouve abusé,
Par la fortune adverse on devient plus rusé :
L’une esteint la vertu, l’autre la fait paroistre :

L’une trompe nos yeux d’un visage menteur,
L’autre nous fait l’ami cognoistre du flatteur,
Et si nous fait encor’ à nous mesme cognoistre.

LII

Si les larmes servoyent de remede au malheur,
Et le pleurer pouvoit la tristesse arrester,
On devroit (Seigneur mien), les larmes acheter,
Et ne se trouveroit rien si cher que le pleur.

Mais les pleurs en effect sont de nulle valeur :
Car soit qu’on ne se vueille en pleurant tourmenter,
Ou soit que nuict et jour on vueille lamenter,
On ne peut divertir le cours de la douleur.

Le cœur fait au cerveau ceste humeur exhaler,
Et le cerveau la fait par les yeux devaller,
Mais le mal par les yeux ne s’allambique pas.

De quoy donques nous sert ce fascheux larmoyer ?
De jetter, comme on dit, l’huile sur le foyer,
Et perdre sans profit le repos et repas.

LIII

Vivons (Gordes), vivons, vivons, et pour le bruit
Des vieillards ne laissons à faire bonne chere :
Vivons, puis que la vie est si courte et si chere,
Et que mesmes les Rois n’en ont que l’usufruit.

Le jour s’esteint au soir, et au matin reluit,
Et les saisons refont leur course coustumiere :
Mais quand l’homme a perdu ceste douce lumiere,
La mort luy fait dormir une eternelle nuict.