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On ne voit que soldats, et morions en teste,
On n’oit que tabourins, et semblable tempeste,
Et Rome tous les jours n’attend qu’un autre sac.

LXXXIV

Nous ne faisons la cour aux filles de Memoire,
Comme vous qui vivez libres de passion :
Si vous ne sçavez donc nostre occupation,
Ces dix vers ensuivans vous la feront notoire :

Suivre son Cardinal au Pape, au consistoire,
En capelle, en visite, en congregation,
Et pour l’honneur d’un prince, ou d’une nation
De quelque ambassadeur accompagner la gloire;

Estre en son rang de garde aupres de son seigneur,
Et faire aux survenans l’accoustumé honneur,
Parler du bruit qui court, faire de l’habile homme :

Se promener en housse, aller voir d’huis en huis
La Marthe, ou la Victoire, et s’engager aux Juifs :
Voilà, mes compagnons, le passetemps de Rome.

LXXXV

Flatter un crediteur pour son terme allonger,
Courtiser un banquier, donner bonne esperance,
Ne suivre en son parler la liberté de France,
Et pour respondre un mot, un quart d’heure y songer :

Ne gaster sa santé par trop boire et manger,
Ne faire sans propos une folle despense,
Ne dire à tous venans tout cela que lon pense,
Et d’un maigre discours gouverner l’estranger :

Cognoistre les humeurs, cognoistre qui demande,
Et d’autant que lon a la liberté plus grande,
D’autant plus se garder que lon ne soit repris :

Vivre avecques chacun, de chacun faire compte :
Voilà, mon cher Sorel (dont je rougis de honte)
Tout le bien qu’en trois ans à Rome j’ay appris.