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LA REINE MARGOT.

qui tenait alors le siège de Rome. La dispense tardait, et ce retard inquiétait fort la feue reine de Navarre ; elle avait un jour exprimé à Charles IX ses craintes que cette dispense n’arrivât point, ce à quoi le roi avait répondu :

— N’ayez souci, ma bonne tante, je vous honore plus que le pape, et aime plus ma sœur que je ne le crains. Je ne suis pas huguenot, mais je ne suis pas sot non plus, et si monsieur le pape fait trop la bête, je prendrai moi-même Margot par la main, et je la mènerai épouser votre fils en plein prêche.

Ces paroles s’étaient répandues du Louvre dans la ville, et, tout en réjouissant fort les huguenots, avaient considérablement donné à penser aux catholiques, qui se demandaient tout bas si le roi les trahissait réellement, ou bien ne jouait pas quelque comédie qui aurait un beau matin ou un beau soir son dénoûment inattendu.

C’était vis-à-vis de l’amiral de Coligny surtout, qui depuis cinq ou six ans faisait une guerre acharnée au roi, que la conduite de Charles IX paraissait inexplicable : après avoir mis sa tête à prix à cent cinquante mille écus d’or, le roi ne jurait plus que par lui, l’appelant son père et déclarant tout haut qu’il allait confier désormais à lui seul la conduite de la guerre ; c’est au point que Catherine de Médicis elle-même, qui jusqu’alors avait réglé les actions, les volontés et jusqu’aux désirs du jeune prince, paraissait commencer à s’inquiéter tout de bon, et ce n’était pas sans sujet, car, dans un moment d’épanchement, Charles IX avait dit à l’amiral à propos de la guerre de Flandre :

— Mon père, il y a encore une chose en ceci à laquelle il faut bien prendre garde : c’est que la reine mère, qui veut mettre le nez partout comme vous savez, ne connaisse rien de cette entreprise ; que nous la tenions si secrète qu’elle n’y voie goutte, car, brouillonne comme je la connais, elle nous gâterait tout.

Or, tout sage et expérimenté qu’il était, Coligny n’avait pu tenir secrète une si entière confiance ; et quoiqu’il fût arrivé à Paris avec de grands soupçons, quoique à son départ de Châtillon une paysanne se fût jetée à ses pieds, en criant : « Oh ! Monsieur, notre bon maître, n’allez pas à Paris, car si vous y allez vous mourrez, vous et tous ceux qui iront avec vous ; » ces soupçons s’étaient peu à peu éteints dans son