Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 4.djvu/136

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ferait-il pas payer un jour le secret de cette terrible affaire ?… Ne serait-ce pas pour lui une bien douce vengeance, quand il apprendrait que je n’étais pas mort de son coup de poignard ? Il était donc urgent qu’avant toute chose, et à tout hasard, je fisse disparaître les traces de ce passé, que j’en détruisisse tout vestige matériel ; il n’y aurait toujours que trop de réalité dans mon souvenir.

C’était pour cela que j’avais annulé le bail, c’était pour cela que j’étais venu, c’était pour cela que j’attendais.

La nuit arriva, je la laissai bien s’épaissir ; j’étais sans lumière dans cette chambre, où des souffles de vent faisaient trembler les portières derrière lesquelles je croyais toujours voir quelque espion embusqué ; de temps en temps je tressaillais, il me semblait derrière moi, dans ce lit, entendre vos plaintes, et je n’osais me retourner. Mon cœur battait dans le silence, et je le sentais battre si violemment que je croyais que ma blessure allait se rouvrir ; enfin, j’entendis s’éteindre, l’un après l’autre, tous ces bruits divers de la campagne. Je compris que je n’avais plus rien à craindre, que je ne pouvais être ni vu ni entendu, et je me décidai à descendre.

Écoutez, Hermine, je me crois aussi brave qu’un autre homme, mais lorsque je retirai de ma poitrine cette petite clef de l’escalier, que nous chérissions tous deux, et que vous aviez voulu faire attacher à un anneau d’or, lorsque j’ouvris la porte, lorsque, à travers les fenêtres, je vis une lune pâle jeter, sur les degrés en spirale, une longue bande de lumière blanche pareille à un spectre, je me retins au mur et je fus près de crier ; il me semblait que j’allais devenir fou.

Enfin, je parvins à me rendre maître de moi-même. Je descendis l’escalier marche à marche ; la seule chose que je n’avais pu vaincre, c’était un étrange tremblement