Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 4.djvu/210

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qui suis un fou, et vous me prouvez que la passion aveugle les esprits les plus justes. Merci donc, à vous qui raisonnez sans passion. Soit donc, c’est une chose entendue ; demain vous serez irrévocablement promise à M. Franz d’Épinay, non point par cette formalité de théâtre inventée pour dénouer les pièces de comédie, et qu’on appelle la signature du contrat, mais par votre propre volonté.

— Encore une fois, vous me désespérez, Maximilien, dit Valentine ; encore une fois, vous retournez le poignard dans la plaie ! Que feriez-vous, dites, si votre sœur écoutait un conseil comme celui que vous me donnez ?

— Mademoiselle, reprit Morrel avec un sourire amer, je suis un égoïste, vous l’avez dit, et dans ma qualité d’égoïste, je ne pense pas à ce que feraient les autres dans ma position, mais à ce que je compte faire, moi. Je pense que je vous connais depuis un an, que j’ai mis, du jour où je vous ai connue, toutes mes chances de bonheur sur votre amour ; qu’un jour est venu où vous m’avez dit que vous m’aimiez ; que de ce jour j’ai mis toutes mes chances d’avenir sur votre possession : c’était ma vie. Je ne pense plus rien maintenant ; je me dis seulement que les chances ont tourné, que j’avais cru gagner le ciel et que je l’ai perdu. Cela arrive tous les jours qu’un joueur perd non seulement ce qu’il a, mais encore ce qu’il n’a pas.

Morrel prononça ces mots avec un calme parfait ; Valentine le regarda un instant de ses grands yeux scrutateurs, essayant de ne pas laisser pénétrer ceux de Morrel jusqu’au trouble qui tourbillonnait déjà au fond de son cœur.

— Mais enfin, qu’allez-vous faire ? demanda Valentine.

— Je vais avoir l’honneur de vous dire adieu, mademoiselle, en attestant Dieu, qui entend mes paroles et