Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 4.djvu/309

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souviens, de la poudre dans le bassinet de ses pistolets.

— Vasiliki, dit-il à ma mère avec un tressaillement visible, voici l’instant qui va décider de nous ; dans une demi-heure nous saurons la réponse du sublime empereur, retire-toi dans le souterrain avec Haydée.

— Je ne veux pas vous quitter, dit Vasiliki ; si vous mourez, mon maître, je veux mourir avec vous.

— Allez près de Sélim, cria mon père.

— Adieu, seigneur ! murmura ma mère, obéissante et pliée en deux comme par l’approche de la mort.

— Emmenez Vasiliki, dit mon père à ses Palicares.

Mais moi, qu’on oubliait, je courus à lui et j’étendis mes mains de son côté ; il me vit, et, se penchant vers moi, il pressa mon front de ses lèvres.

Oh ! ce baiser, ce fut le dernier, et il est là encore sur mon front.

En descendant nous distinguions à travers les treilles de la terrasse les barques qui grandissaient sur le lac, et qui, pareilles naguère à des points noirs, semblaient déjà des oiseaux rasant la surface des ondes.

Pendant ce temps, dans le kiosque, vingt Palicares, assis aux pieds de mon père et cachés par la boiserie, épiaient d’un œil sanglant l’arrivée de ces bateaux, et tenaient prêts leurs longs fusils incrustés de nacre et d’argent : des cartouches en grand nombre étaient semées sur le parquet ; mon père regardait à sa montre et se promenait avec angoisse.

Voilà ce qui me frappa quand je quittai mon père après le dernier baiser que j’eus reçu de lui.

Nous traversâmes, ma mère et moi, le souterrain, Sélim était toujours à son poste ; il nous sourit tristement. Nous allâmes chercher des coussins de l’autre côté de la caverne, et nous vînmes nous asseoir près de