Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 5.djvu/117

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— La démarche que vous tentez en vous présentant chez moi de vous-même, et sans attendre la visite que je comptais vous faire aujourd’hui, me semble d’un bon augure, monsieur, dit Albert : voyons, dites vite, faut-il que je vous tende la main en disant : Beauchamp, avouez un tort et conservez-moi un ami ? ou faut-il que tout simplement je vous demande : Quelles sont vos armes ?

— Albert, dit Beauchamp avec une tristesse qui frappa le jeune homme de stupeur, asseyons-nous d’abord, et causons.

— Mais il me semble, au contraire, monsieur, qu’avant de nous asseoir, vous avez à me répondre ?

— Albert, dit le journaliste, il y a des circonstances où la difficulté est justement dans la réponse.

— Je vais vous la rendre facile, monsieur, en vous répétant la demande : Voulez-vous vous rétracter, oui ou non ?

— Morcerf, on ne se contente pas de répondre oui ou non aux questions qui intéressent l’honneur, la position sociale, la vie d’un homme comme M. le lieutenant général comte de Morcerf, pair de France.

— Que fait-on alors ?

— On fait ce que j’ai fait, Albert ; on dit : L’argent, le temps et la fatigue ne sont rien lorsqu’il s’agit de la réputation et des intérêts de toute une famille ; on dit : Il faut plus que des probabilités, il faut des certitudes pour accepter un duel à mort avec un ami ; on dit : Si je croise l’épée, ou si je lâche la détente d’un pistolet sur un homme dont j’ai, pendant trois ans, serré la main, il faut que je sache au moins pourquoi je fais une pareille chose, afin que j’arrive sur le terrain avec le cœur en repos et cette conscience tranquille dont un homme a besoin quand il faut que son bras sauve sa vie.