Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 6.djvu/138

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

essayant de sourire, plus cher que je ne croyais valoir, c’est-à-dire deux mille francs.

— Ainsi ces mille francs ?… dit en tressaillant Mercédès.

— C’est la moitié de la somme, ma mère ; l’autre viendra dans un an.

Mercédès leva les yeux au ciel avec une expression que rien ne saurait rendre, et les deux larmes arrêtées au coin de sa paupière, débordant sous l’émotion intérieure, coulèrent silencieusement le long de ses joues.

— Le prix de son sang ! murmura-t-elle.

— Oui, si je suis tué, dit en riant Morcerf, mais je t’assure, bonne mère, que je suis au contraire dans l’intention de défendre cruellement ma peau ; je ne me suis jamais senti si bonne envie de vivre que maintenant.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! fit Mercédès.

— D’ailleurs, pourquoi donc voulez-vous que je sois tué, ma mère ?

Est-ce que Lamoricière, cet autre Ney du Midi, a été tué ?

Est-ce que Changarnier a été tué ?

Est-ce que Bedeau a été tué ?

Est-ce que Morrel, que nous connaissons, a été tué ?

Songez donc à votre joie, ma mère, lorsque vous me verrez revenir avec mon uniforme brodé !

Je vous déclare que je compte être superbe là-dessous, et que j’ai choisi ce régiment-là par coquetterie.

Mercédès soupira, tout en essayant de sourire ; elle comprenait, cette sainte mère, qu’il était mal à elle de laisser porter à son enfant tout le poids du sacrifice.

— Eh bien, donc ! reprit Albert, vous comprenez, ma mère, voilà déjà plus de quatre mille francs assurés pour vous, avec ces quatre mille francs vous vivrez deux bonnes années.