Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 6.djvu/183

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mois après, sa sœur fit le voyage de Rogliano à Paris pour me venir chercher, me réclama comme son fils et m’emmena.

Voilà comment, quoique né à Auteuil, je fus élevé en Corse.

Il y eut un instant de silence, mais d’un silence si profond, que, sans l’anxiété que semblaient respirer mille poitrines, on eût cru la salle vide.

— Continuez, dit la voix du président.

— Certes, continua Benedetto, je pouvais être heureux chez ces braves gens qui m’adoraient ; mais mon naturel pervers l’emporta sur toutes les vertus qu’essayait de verser dans mon cœur ma mère adoptive. Je grandis dans le mal et je suis arrivé au crime. Enfin, un jour que je maudissais Dieu de m’avoir fait si méchant et de me donner une si hideuse destinée, mon père adoptif est venu me dire :

« Ne blasphème pas, malheureux ! car Dieu t’a donné le jour sans colère ! le crime vient de ton père et non de toi ; de ton père qui t’a voué à l’enfer si tu mourais, à la misère si un miracle te rendait au jour ! »

Dès lors j’ai cessé de blasphémer Dieu, mais j’ai maudit mon père ; et voilà pourquoi j’ai fait entendre ici les paroles que vous m’avez reprochées, monsieur le président ; voilà pourquoi j’ai causé le scandale dont frémit encore cette assemblée. Si c’est un crime de plus, punissez-moi ; mais si je vous ai convaincu que dès le jour de ma naissance ma destinée était fatale, douloureuse, amère, lamentable, plaignez-moi !

— Mais votre mère ? demanda le président.

— Ma mère me croyait mort ; ma mère n’est point coupable. Je n’ai pas voulu savoir le nom de ma mère ; je ne la connais pas.