Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 6.djvu/210

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de vous apporter le bonheur, mais je vous offre la consolation : daignerez-vous l’accepter comme vous venant d’un ami ?

— Je suis, en effet, bien malheureuse, répondit Mercédès ; seule au monde… Je n’avais que mon fils, et il m’a quittée.

— Il a bien fait, madame, répliqua le comte, et c’est un noble cœur. Il a compris que tout homme doit un tribut à la patrie : les uns leurs talents, les autres leur industrie ; ceux-ci leurs veilles, ceux-là leur sang. En restant avec vous ; il eût usé près de vous sa vie devenue inutile, il n’aurait pu s’accoutumer à vos douleurs. Il serait devenu haineux par impuissance : il deviendra grand et fort en luttant contre son adversité qu’il changera en fortune. Laissez-le reconstituer votre avenir à vous deux, madame ; j’ose vous promettre qu’il est en de sûres mains.

— Oh ! dit la pauvre femme en secouant tristement la tête, cette fortune dont vous parlez, et que du fond de mon âme je prie Dieu de lui accorder, je n’en jouirai pas, moi. Tant de choses se sont brisées en moi et autour de moi, que je me sens près de ma tombe. Vous avez bien fait, monsieur le comte, de me rapprocher de l’endroit où j’ai été si heureuse : c’est là où l’on a été heureux que l’on doit mourir.

— Hélas ! dit Monte-Cristo, toutes vos paroles, madame, tombent amères et brûlantes sur mon cœur, d’autant plus amères et plus brûlantes que vous avez raison de me haïr ; c’est moi qui ai causé tous vos maux : que ne me plaignez-vous au lieu de m’accuser ? vous me rendriez bien plus malheureux encore…

— Vous haïr, vous accuser, vous, Edmond… Haïr, accuser l’homme qui a sauvé la vie de mon fils, car c’était