Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 6.djvu/220

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La route avait autrefois semblé bien longue à Dantès. Monte-Cristo l’avait trouvée bien courte ; chaque coup de rame avait fait jaillir avec la poussière humide de la mer un million de pensées et de souvenirs.

Depuis la Révolution de Juillet, il n’y avait plus de prisonniers au château d’If ; un poste destiné à empêcher de faire la contrebande habitait seul ses corps de garde ; un concierge attendait les curieux à la porte pour leur montrer ce monument de terreur, devenu un monument de curiosité.

Et cependant, quoiqu’il fût instruit de tous ces détails, lorsqu’il entra sous la voûte, lorsqu’il descendit l’escalier noir, lorsqu’il fut conduit aux cachots qu’il avait demandé à voir, une froide pâleur envahit son front, dont la sueur glacée fut refoulée jusqu’à son cœur.

Le comte s’informa s’il restait encore quelque ancien guichetier du temps de la restauration ; tous avaient été mis à la retraite ou étaient passés à d’autres emplois.

Le concierge qui le conduisait était là depuis 1830 seulement.

On le conduisit dans son propre cachot.

Il revit le jour blafard filtrant par l’étroit soupirail ; il revit la place où était le lit, enlevé depuis, et, derrière le lit, quoique bouchée, mais visible encore par ses pierres plus neuves, l’ouverture percée par l’abbé Faria.

Monte-Cristo sentit ses jambes faiblir ; il prit un escabeau de bois et s’assit dessus.

— Conte-t-on quelques histoires sur ce château autres que celle de l’emprisonnement de Mirabeau ? demanda le comte ; y a-t-il quelque tradition sur ces lugubres demeures, où l’on hésite à croire que des hommes aient jamais enfermé un homme vivant ?