Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 6.djvu/63

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eût crue déserte, puis elle s’avança doucement vers la table de nuit pour voir si le verre de Valentine était vide.

Il était encore plein au quart, comme nous l’avons dit.

Madame de Villefort le prit et alla le vider dans les cendres, qu’elle remua pour faciliter l’absorption de la liqueur, puis elle rinça soigneusement le cristal, l’essuya avec son propre mouchoir, et le replaça sur la table de nuit.

Quelqu’un dont le regard eût pu plonger dans l’intérieur de la chambre, eût pu voir alors l’hésitation de madame de Villefort à fixer ses yeux sur Valentine et à s’approcher du lit.

Cette lueur lugubre, ce silence, cette terrible poésie de la nuit venaient sans doute se combiner avec l’épouvantable poésie de sa conscience : l’empoisonneuse avait peur de son œuvre.

Enfin elle s’enhardit, écarta le rideau, s’appuya au chevet du lit, et regarda Valentine.

La jeune fille ne respirait plus, ses dents à demi desserrées ne laissaient échapper aucun atome de ce souffle qui décèle la vie ; ses lèvres blanchissantes avaient cessé de frémir ; ses yeux, noyés dans une vapeur violette qui semblait avoir filtré sous la peau, formaient une saillie plus blanche à l’endroit où le globe enflait la paupière, et ses longs cils noirs rayaient une peau déjà mate comme la cire.

Madame de Villefort contempla ce visage d’une expression si éloquente dans son immobilité ; elle s’enhardit alors, et, soulevant la couverture, elle appuya sa main sur le cœur de la jeune fille.

Il était muet et glacé.

Ce qui battait sous sa main, c’était l’artère de ses doigts : elle retira sa main avec un frisson.