Page:Dumas - Le Meneur de loups (1868).djvu/47

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Là, entre les bordures d’Oigny et la haie des Oseraies, s’élevait la hutte de Thibault le sabotier.

Disons un peu ce que c’était que Thibault le sabotier, c’est-à-dire le véritable héros de notre histoire.

Peut-être me demandera-t-on comment, moi qui ai assigné des rois à comparaître sur la scène ; comment, moi qui ai forcé princes, ducs et barons à jouer des rôles secondaires dans mes romans, je prends un simple sabotier pour héros de cette histoire.

D’abord, je répondrai qu’il y a, dans mon cher pays de Villers-Cotterêts, plus de sabotiers que de barons, de ducs et de princes, et que, du moment où mon intention était de prendre pour théâtre des événements que je vais raconter la forêt qui l’entoure, il fallait, sous peine de faire des personnages de fantaisie, comme les Incas de M. Marmontel ou les Abencerrages de M. de Florian, que je prisse un des habitants réels de cette forêt.

D’ailleurs, on ne prend pas un sujet, c’est le sujet qui vous prend ; et, qu’il soit bon ou mauvais, je suis pris par ce sujet-là.

Je vais donc essayer de faire le portrait de Thibault le sabotier, tout simple sabotier qu’il est, aussi exactement qu’un peintre fait le portrait qu’un prince régnant veut envoyer à sa fiancée.

Thibault était un homme de vingt-cinq à vingt-sept ans, grand, bien fait, solide de corps, mais naturellement triste de cœur et d’esprit. Cette tristesse lui venait d’un petit grain d’envie qu’il éprouvait malgré lui, à son insu peut-être, contre le prochain mieux favorisé que lui du côté de la fortune.

Son père avait fait une faute, grave en tout temps, mais plus grave à cette époque d’absolutisme où personne ne pouvait s’élever au-dessus de son état, que dans notre temps, où, avec de la capacité, on peut parvenir à tout.