Page:Dumas - Le Meneur de loups (1868).djvu/60

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Les chiens n’avaient point perdu sa voie. Malgré ses ruses, ils ne la perdraient pas pour un simple crochet.

Thibault n’était pas branché depuis cinq minutes, qu’il vit arriver les chiens, puis le baron Jean, qui, malgré ses cinquante-cinq ans, tenait la tête de la chasse comme s’il n’en eût eu que vingt.

Seulement, le seigneur Jean était dans une rage que nous n’essayerons pas de dépeindre.

Perdre quatre heures sur un misérable daim et chasser ses arrières encore !

Jamais pareille chose ne lui était arrivée.

Il gourmandait ses gens, il fouettait ses chiens, et il avait si bien labouré le ventre de son cheval avec ses éperons, que le sang qui s’en échappait avait donné une teinte rougeâtre à l’épaisse couche de boue qui recouvrait ses houseaux.

Cependant, lorsque la chasse était arrivée au pont de la rivière d’Ourcq, le baron avait eu un moment d’allègement ; la meute avait pris la piste avec tant d’ensemble, que, lorsqu’elle traversa le pont, le manteau que le louvetier portait en croupe eût suffi à les couvrir tous.

En ce moment-là, le seigneur Jean fut si satisfait, qu’il ne se contenta pas de fredonner un bien-aller, mais encore qu’il détacha sa trompe et le sonna à pleins poumons, ce qu’il ne faisait que dans les grandes occasions.

Mais, par malheur, la joie du seigneur Jean ne devait pas être de longue durée.

Tout à coup, juste au-dessous de l’arbre où était juché Thibault, au moment où les chiens, se récriant tous ensemble, faisaient un concert qui charmait de plus en plus les oreilles du baron, la meute entière tomba à bout de voie, et tout se tut comme par enchantement.