Page:Dupuy - La vie d'Évariste Galois.djvu/68

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ajouté que, s’il était militaire, il ne saurait à quoi se décider ; seulement il reconnaissait avec tout le monde que la position des militaires était fort embarrassante, parce qu’ils se voyaient placés dans l’alternative ou de sacrifier la liberté, ou de manquer au serment qui les retenait sous les drapeaux […] Quant à la légitimité, il est complètement faux que M. Guigniault en ait parlé dans cette circonstance ; je ne crois même pas lui avoir entendu prononcer ce mot pendant tout le temps que j’ai passé à l’École.

Autant de phrases, autant de mensonges ; car il est encore faux qu’une fois la victoire décidée, M. Guigniault se soit empressé d’ombrager son chapeau d’une immense cocarde tricolore : cinq élèves avaient été désignés par leurs camarades pour porter en terre le corps du jeune Farcy, tué dans les Journées. J’étais du nombre de ces élèves. Nous nous rendîmes chez le Directeur, qui devait assister avec nous au convoi ; nous avions tous pris les couleurs nationales ; seul, il n’avait point de cocarde : « Messieurs, nous dit-il, vous m’avez devancé, mais il y a longtemps que nous la portions dans notre cœur ; on peut la porter là aussi. » Nous savions tous qu’il disait vrai […]


VI.

Extrait d’une Lettre d’un camarade de Galois relative à son expulsion.

(Communiquée par le fils de cet élève, M. L., normalien lui-même.)

École Normale, 11 décembre 1830.
Mon cher Prosper,

Des événements d’un caractère très grave se sont passés à l’École depuis que je ne t’ai vu ; et je vais t’en parler, quoiqu’ils ne m’aient pas atteint ; tu pourrais croire en lisant certains journaux que je suis impliqué dans l’affaire.

Un de mes condisciples, mauvais sujet s’il en fut, du caractère le plus profondément pervers et sournois, avait à se plaindre de notre directeur, qui l’avait consigné indéfiniment. Notre mauvais garnement nourrissait une haine secrète, et méditait un projet dont il avait même parlé à plusieurs d’entre nous ; mais nous n’avions jamais voulu y ajouter foi tant il nous paraissait absurde. Enfin, il y a quinze jours environ, notre directeur écrivit dans le Lycée, journal de l’Université, une lettre contre le rédacteur de la Gazette des Écoles, nommé Guyard. L’élève mécontent saisit cette occasion d’envoyer au sieur Guyard une lettre contre M. Guigniault, notre directeur : cette lettre est dégoûtante, pleine d’invectives atroces, et d’imputations bassement mensongères. Tu penses quel effet a produit cette lettre et sur l’esprit du directeur, et sur les esprits des élèves. Il y eut grande rumeur, on lança des soupçons, on se réunit et l’on convint de le démentir publiquement par la voie du même journal qui avait eu l’impudeur d’accueillir ses pitoyables calomnies. Nous envoyâmes donc à M. Guyard une lettre justificative signée de tous les élèves alors présents à l’École. Le sieur Guyard ne voulut pas insérer la lettre sous prétexte que certains élèves avaient mis des restrictions à certains articles de