Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/179

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confirmée. Il est vrai qu’on a parfois attribué à une autre cause cette prédominance du droit pénal dans les sociétés inférieures ; on l’a expliquée « par la violence habituelle dans les sociétés qui commencent à écrire leurs lois. Le législateur, dit-on, a divisé son œuvre en proportion de la fréquence de certains accidents de la vie barbare[1]. » M. Sumner-Maine, qui rapporte cette explication, ne la trouve pas complète ; en réalité, elle n’est pas seulement incomplète, elle est fausse. D’abord, elle fait du droit une création artificielle du législateur, puisqu’il aurait été institué pour contredire les mœurs publiques et réagir contre elles. Or, une telle conception n’est plus aujourd’hui soutenable. Le droit exprime les mœurs, et, s’il réagit contre elles, c’est avec la force qu’il leur a empruntée. Là où les actes de violence sont fréquents, ils sont tolérés ; leur délictuosité est en raison inverse de leur fréquence. Ainsi, chez les peuples inférieurs, les crimes contre les personnes sont plus ordinaires que dans nos sociétés civilisées : aussi sont-ils au dernier degré de l’échelle pénale. On peut presque dire que les attentats sont d’autant plus sévèrement punis qu’ils sont plus rares. De plus, ce qui fait l’état pléthorique du droit pénal primitif, ce n’est pas que nos crimes d’aujourd’hui y sont l’objet de dispositions plus étendues, mais c’est qu’il existe une criminalité luxuriante propre à ces sociétés, et dont leur prétendue violence ne saurait rendre compte : délits contre la foi religieuse, contre le rite, contre le cérémonial, contre les traditions de toute sorte, etc. La vraie raison de ce développement des règles répressives, c’est donc qu’à ce moment de l’évolution la conscience collective est étendue et forte, alors que le travail n’est pas encore divisé.

Ces principes posés, la conclusion va s’en dégager toute seule.

  1. Ancien Droit, p. 348.