Page:Durkheim - L'Allemagne au-dessus de tout.djvu/15

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laissions à un arbitre le soin de la trancher, qui croira sérieusement qu’on puisse en trouver un qui soit impartial[1]. » Aussi bien, ajoute Bernhardi[2], au nom de quel droit prononcera le juge ? Invoquera-t-il ce sens de la justice que chacun de nous trouve dans sa conscience ? Mais on sait tout ce qu’il a de vague, d’incertain et de fuyant ; il varie d’un individu à l’autre, d’un peuple à l’autre. S’appuiera-t-on sur le droit international établi ? Mais nous venons de voir que ce droit repose lui-même sur des accords éminemment précaires que chaque État peut légitimement dénoncer à sa guise. Il exprime la situation respective des États, et celle-ci est perpétuellement en voie de changement. Il laisse donc la place libre aux préjugés individuels et nationaux. En un mot, un tribunal international suppose un droit international institué, fait de normes impersonnelles, impératives, qui s’imposent à tous et qui ne sont contestées par aucune conscience droite : or, un droit international de ce genre n’existe pas.

Un État se doit à lui-même de résoudre par ses propres forces les questions où il juge que ses intérêts essentiels sont engagés. La guerre est donc la seule forme de procès qu’il puisse reconnaître, et « les preuves qui sont administrées dans ces terribles procès entre nations ont une puissance autrement contraignante que celles qui sont usitées dans les procès civils[3] ». C’est pourquoi, tant qu’il y aura entre les États des compétitions, des rivalités, des antagonismes, la guerre est inévitable. Or la concurrence est la loi des États plus encore que des individus ; car, de peuple à peuple, elle n’est atténuée ni par la sympathie mutuelle ni par la communauté de culture et l’attachement à un même idéal. Sans la guerre, l’État n’est même pas concevable. Aussi le droit de faire la guerre à sa guise constitue-t-il l’attribut essentiel de sa souveraineté. C’est par ce droit qu’il se distingue de tous les autres groupements humains. Quand un État n’est plus

  1. I, p. 38.
  2. Unsere Zukunft, ch. V.
  3. I, p. 73.