Page:Durkheim - L'Allemagne au-dessus de tout.djvu/28

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formés à l’école du christianisme, a, avant tout, pour objet de réaliser l’humanité, de la libérer des servitudes qui la diminuent, de la rendre plus aimante et plus fraternelle. Dire que l’État doit être sourd aux grands intérêts humains, c’est donc le mettre en dehors et au-dessus de la morale. Aussi bien Treitschke reconnaît-il lui-même que la politique, telle qu’il l’entend, ne peut devenir morale que si la morale change de nature. « Il faut, dit-il, que la morale devienne plus politique pour que la politique devienne plus morale[1]. »

Voilà pourquoi nous pouvions dire[2] qu’en paraissant admettre une sorte de supériorité de Dieu par rapport à l’État, Treitschke ne faisait qu’une réserve de style. C’est que le seul Dieu que reconnaissent les grandes religions d’aujourd’hui[3], ce n’est pas le dieu de telle cité ou de tel État, c’est le Dieu du genre humain, c’est Dieu le père, législateur et gardien d’une morale qui a pour objet l’humanité tout entière. Or l’idée même de ce Dieu est étrangère à la mentalité que nous étudions.


La fin justifie les moyens. ― Mais, admettons que l’accroissement de son pouvoir soit, pour l’État, la seule fin qu’il doive poursuivre ; d’après quel principe devra-t-il choisir les moyens nécessaires pour atteindre cette fin ? Tous ceux qui mènent au but sont-ils légitimes, ou bien la morale commune va-t-elle, ici, reprendre ses droits ?

À cette question, Treitschke répond par le fameux aphorisme : la fin justifie les moyens ; il se borne à l’atténuer légèrement. « Sans doute, dit-il, quand on dénonce sous une forme radicale et abrupte cette maxime bien connue des Jésuites, elle a quelque chose de brutal qui froisse ; mais qu’elle contienne une certaine vérité, c’est ce que personne ne peut contester. Il y a malheureusement d’innombrables cas, dans

  1. I, p. 105.
  2. Cf. supra, chap. I, 1.
  3. Et encore n’y a-t-il que bien peu de sociétés où les dieux aient un caractère aussi étroitement national. Il n’est guère de grandes divinités qui ne soient à quelque degré internationales.