Page:Durkheim - L'Allemagne au-dessus de tout.djvu/50

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morale elles-mêmes, sans autre loi que celle qu’il se donne, il saura triompher de toutes les résistances et s’imposer par la contrainte là où il ne sera pas spontanément accepté. On le verra même, pour affirmer avec plus d’éclat sa puissance, ameuter contre soi l’univers et se faire un jeu de le braver[1]. À elle seule, l’outrance de ces ambitions suffirait à en démontrer la nature pathologique. N’est-ce pas, d’ailleurs, ce même caractère d’énormité morbide qu’on retrouve jusque dans le détail des procédés matériels qu’emploient, sous nos yeux, la stratégie et la tactique allemandes ? Ces projets d’envahir l’Angleterre par la voie des airs, ces rêves de canons dont les projectiles seraient presque affranchis des lois de la pesanteur, tout cela fait penser aux romans d’un Jules Verne ou d’un Wells. On se croit transporté dans un milieu irréel où rien ne résiste plus à la volonté de l’homme.

Nous sommes donc en présence d’un cas nettement caractérisé de pathologie sociale. Les historiens et les sociologues auront plus tard à en rechercher les causes ; il nous suffit aujourd’hui d’en constater l’existence. Cette constatation ne peut que confirmer la France et ses alliés dans leur légitime confiance ; car il n’est pas de plus grande force que d’avoir pour soi la nature des choses : on ne lui fait pas violence impunément. Sans doute, il y a de grandes névroses au cours desquelles il arrive que les forces du malade sont comme surexcitées ; sa puissance de travail et de production est accrue ; il fait des choses dont, à l’état normal, il serait incapable. Lui aussi ne connaît plus de limites à son pouvoir. Mais cette suractivité n’est jamais que passagère ; elle s’use par son exagération même et la nature ne tarde pas à prendre sa revanche. C’est à un spectacle analogue que nous fait assister l’Allemagne. Cette tension maladive d’une volonté qui s’efforce de s’arracher à l’action des forces naturelles, lui a fait accomplir de grandes choses ; c’est ainsi qu’elle a pu mettre debout la monstrueuse machine de guerre qu’elle a lancée sur le monde

  1. Écrit le jour même où fut connu le torpillage de la Lusitania.