Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus souvent, on dirait que c’est la forme animale qui est la forme fondamentale[1]. » Pour trouver un dieu construit tout entier avec des éléments humains, il faut venir presque jusqu’au christianisme. Ici, le Dieu est un homme, non pas seulement par l’aspect physique sous lequel il s’est manifesté temporairement, mais encore par les idées et les sentiments qu’il exprime. Mais même à Rome et en Grèce, quoique les dieux y fussent généralement représentés avec des traits humains, plusieurs personnages mythiques portaient encore la trace d’une origine animale : c’est Dionysos que l’on rencontre souvent sous la forme d’un taureau ou du moins avec des cornes de taureau ; c’est Déméter qui est représentée avec une crinière de cheval, c’est Pau, c’est Silène, ce sont les Faunes, etc.[2]. Il s’en faut donc que l’homme ait été à ce point enclin à imposer sa forme aux choses. Il y a plus : il a lui-même commencé par se concevoir comme participant étroitement de la nature animale. C’est, en effet, une croyance presque universelle en Australie, encore très répandue chez les Indiens de l’Amérique du Nord, que les ancêtres des hommes ont été des bêtes ou des plantes, ou, tout au moins, que les premiers hommes avaient, soit en totalité soit en partie, les caractères distinctifs de certaines espèces animales ou végétales. Ainsi, loin de ne voir partout que des êtres semblables à lui, l’homme a commencé par se penser lui-même à l’image d’êtres dont il différait spécifiquement.

V

La théorie animiste implique, d’ailleurs, une conséquence qui en est peut-être la meilleure réfutation.

  1. La religion des peuples non civilisés, I, p. 248.
  2. V. W. de Visser, De Graecorum diis non referentibus speciem humanam. Cf. P. Perdrizet, Bulletin de correspondance hellénique, 1889, p. 635.