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sible, sans doute, que ces prohibitions soient indirectement dérivées du totémisme. On peut supposer que les animaux que protègent ces interdits servaient primitivement de totems à des clans qui auraient disparu, tandis que les classes matrimoniales se seraient maintenues. Il est certain, en effet, qu’elles ont parfois une force de résistance que n’ont pas les clans. Par suite, les interdictions, destituées de leurs supports primitifs, se seraient généralisées dans l’étendue de chaque classe, puisqu’il n’existait plus d’autres groupements auxquels elles pussent se rattacher. Mais on voit que, si cette réglementation est née du totémisme, elle n’en représente plus qu’une forme affaiblie et dénaturée[1].

  1. La même explication s’applique peut-être à quelques autres tribus du Sud-Est et de l’Est, où, si l’on en croit les informateurs de Howitt, on trouverait également des totems spécialement affectés à chaque classe matrimoniale. Ce serait le cas chez les Wiradjuri, les Wakelbura, les Bunta-Murra de la rivière Bulloo (Howitt, Nat. Tr., p. 210, 221, 226). Toutefois, les témoignages qu’il a recueillis sont, de son propre aveu, suspects. En fait, des listes mêmes qu’il a dressées, il résulte que plusieurs totems se retrouvent également dans les deux classes de la même phratrie.
    L’explication que nous proposons d’après Frazer (Totemism and Exogamy, p. 531 et suiv.) soulève, d’ailleurs, une difficulté. En principe, chaque clan, et, par conséquent, chaque totem sont indifféremment représentés dans les deux classes d’une même phratrie, puisque l’une de ces classes est celle des enfants et l’autre celle des parents de qui les premiers tiennent leurs totems. Quand donc les clans disparurent, les interdictions totémiques qui survivaient auraient dû rester communes aux deux classes matrimoniales, tandis que, dans les cas cités, chaque classe a les siennes propres. D’où provient cette différenciation ? L’exemple des Kaiabara (tribu du sud du Queensland) permet peut-être d’entrevoir comment cette différenciation s’est produite. Dans cette tribu, les enfants ont le totem de leur mère, mais particularisé au moyen d’un signe distinctif. Si la mère a pour totem l’aigle-faucon noir, celui de l’enfant est l’aigle-faucon blanc (Howitt, Nat. Tr., p. 299). Il y a là comme une première tendance des totems à se différencier suivant les classes matrimoniales.